Les Antécédentes

Performance par le collectif Vierge noir e (1h). Conception, texte, chorégraphie et costumes : Anna Gaïotti. Danse : Clément De Boever & Anna Gaïotti. Musique : Léo Dupleix & Sigolène Valax

“Les Antécédentes commencent à̀ Zürich, dans le quartier de Langstrasse. 
J’y viens, j’y reviens, pour me fondre davantage dans la vie nocturne et charnelle des rues et des clubs, comme lieu d’observation et de rencontres pour mon travail d’écriture. Là se mêlent plus ou moins les nombreuses travailleuses venues de Chine (bordels), et d’Amérique Latine (rue). Transsexuelles pour un grand nombre ; des jeunes et des vieilles. 
Les prostituées appâtent ; elles assoient l’espace public comme un espace matriarcal, une jungle de sororités, de trafics à ciel ouvert. Les mimiques appétant, les silhouettes plastiques, les rencontres ambigües : le désir est reconditionné. 
Dans un acte de survie, les corps exilent de terre à taire, et les peaux exilent vers une plasticité en sursis. L’une d’elles me drague. Notre contact est opaque. Elle insiste, et j’insiste, avec peur.  
cette peur, 
me fait comprendre
sa peur. 
JE VEUX LA DANSER CHAUSSÉE DE MES FERS. »
— Anna Gaïotti 

Du mythe à la question du travail et de la liberté individuelle, cette création regarde la prostituée, avec ses transmutations, ses masques, les mots arides qui la marque, et la dépendance à son propre corps comme objet et lieu de travail, et la re-­‐territorialisation du désir. Elle est ici identifiées dans son humanité, les voix et les chimères qui la marquent, bon gré mal gré. Vierge noir e = Léo Dupleix + Sigolève Valax + Anna Gaïotti -­‐ créent́ de manière collégiale, ils utilisent leurs singularités hybrides et leur complicité, pour porter le poème «les sirènes» comme une réalité cruciale qui sort du mythe. Ils donnent corps et voix à une figure qui mute, d’une sirène à une prostituée, d’une geisha à un clown satirique. L’enjeu de cette création repose sur la relation entre la danse et la musique, à l’écoute. La danse est dessinée tel un mime, inspiré de l’expression traditionnelle du théâtre Nô. La danse est une chanson muette, les fers et le souffle des pas suintent ; la musique érige un entour qui ne se subordonne pas.  

Anna Gaïotti est performeuse chorégraphe et écrivaine. Elle  construit  des  ponts  entre  la  poésie  textuelle  et  le  corps  chorégraphiée  et  musical. Avec sa voix, ses cris, ses mots, ses claquettes, ses grelots,  elle se déploie comme un clown transgenre/disgenré pour parler du corps cru qui se bute aux socles sociétaux et à la normalisation des langages. Des enjeux politiques se mêlent à son intime érotique, sans pudeur ni provocation, sur scène et sur papier. Issues  des  arts  visuels  et  de  la  performance  (l’École  des  Beaux-­‐arts  de  Paris),  elle  progresse  vers  la  danse  (CNDC  d’Angers,  DanceWeb Impulstanz, P.A.R.T.S à Bruxelles) et la musique expérimentale.  
Elle performe solo et collabore avec différents artistes tels que Amélie Giacomini et Laura Sellies, Jean-­‐Luc Guionnet, Pascal Battus,  Sebastian  Rivas,  Sophie  Agnel,  Joël  Andrianomearisoa,  André  S.  Labarthe,  Jean-­‐Marc  Chapoulie,  Véronique  Aubouy,  Ensemble UN, Léo Dupleix et Sigolène Valax avec qui elle fonde le trio vierge noir e.  
Elle danse dans les créations de Mark Tompkins , Phia Ménard.  
Elle créé le dyptique clownesque Rbel fter m heart et Annus (2013), Plus de Muse Mais un Troupeau de Muets (2016) avec la guitariste Nina Garcia, HEAVYMETAL (2017), la pièce de groupe PALSEMBLEU (2018) en collaboration avec le musicien Thibaut de Raymond, et BAL DES LAZE (2019) avec vierge noir e et sur l’invitation de La Pop.  
Anna Gaïotti est publiée chez l’Échappée Belle, dans des revues (Mouvement) et catalogues.  
En 2019, elle entame un travail d’écriture et de recherche sur les danses et les cultures Hamar et Nyangatom dans la basse vallée de l’Omo en Éthiopie.   

VIERGE NOIR E  = Léo Dupleix + Sigolène Valax + Anna Gaïotti  
Ce trio se rencontre en 2016 autour de la pratique de l’improvisation sonore. La grammaire de leurs gestes, de leurs actes, de leurs timbres, de leurs relations, et les choix de temporalités définissent des formes de représentation. Ils se produisent dans des lieux variés allant des espaces intérieurs et extérieurs d’une maison jusqu’à la scène de concert en passant par la galerie d’art. La circulation dans l’architecture est un choix performatif. Cette relation à l’espace et au temps les amène à penser leur travail dans des dimensions et potentialités musicales élargies. L’improvisation et l’écriture circulent de l’une à l’autre. Ils nourrissent leur pratique en travaillant sur des partitions minimalistes et graphiques de Taku Sugimoto, Manfred Werder, Karlheinz Stockhausen ou John Cage. 
VIERGE NOIR E se pense comme une chimère musicale, un corps à trois têtes bruitiste. Ils jouent des instruments amplifiés et acoustiques, leur permettant de travailler sur un large spectre de l’audible. Le rien et le surplus, le silence ou l’arrêt prennent une place importante. L’un et la masse, la fusion et la confusion font corps et musique. 
Entre 2017 et 2018, le groupe a performé sur les scènes expérimentales en France, Autriche et Japon. VIERGE NOIR E enregistrera son premier album LP au printemps 2020 au GMEA à Albi.

Liens

KLAP, Maison pour la Danse
Le mercredi 11 mai 2022 à 19h
6/8 €. Pass soirée (avec Nuée) : 10 €
https://gmem.org/evenement/festival-propagations-2022/
5 avenue Rostand
13003 Marseille
04 96 11 11 20

Article paru le mercredi 27 avril 2022 dans Ventilo n° 463

Festival Propagations

Géode Trouvetou

 

Propagations, du 5 au 15 mai, c’est la deuxième édition du nouveau festival du GMEM, aux ambitions d’expérimentations musicales mais pas que, avec sons exigeants, visuels déconcertants, temps denses et temps danse, loin pourtant des tendances populaires.

    Il s’agit pour Propagations de faire résonner plus amplement des créations pointues ! Et, hélas, comme trop souvent avec ce qui a trait aux musiques contemporaines expérimentales, les ondes semblent parfois devoir s’arrêter aux murs de verre, en dépit des volontés des structures à ouvrir et à (in)former, à éviter les plafonnements, les circonscriptions et autres « hiérarschismes »… et alors que cette programmation mérite sans doute elle aussi d’être l’objet de curiosités et d’expérimentations. Les rendez-vous seront itinérants, à Marseille et à Aix-en-Provence ; en commençant par la libre déambulation dans l’installation que Cécile Le Prado a composée sur mesure pour le 3bisF : L’Esquive. C’est à point nommé qu’accompagnée de Dominique Pifarély au violon et à l’électro et de Gaëtan Parseihian à l’informatique musicale, elle proposera une évasion dans les jardins de la galerie, elle-même enclose dans le centre hospitalier Montperrin. En paysagiste sonore, elle imagine une promenade guidée par les sons, de buissons en buissons et de branches en branches, vers une échappatoire hors des frontières de nos esprits, de nos cultures et de nos territoires. Et des paysages sonores compris au sens littéral, nous en compterons plus d’un ! L’artiste compositeur Pierre-Laurent Cassière investira la majestueuse salle Magaud du Conservatoire Pierre Barbizet pour créer Palimpseste (sostenuto) : des cordes vibrant librement, au gré des réverbérations artificielles, elle-mêmes gérées par l’encodage des relations sonores entre micros et haut-parleurs, soutenue par le luthier informatique Charles Bascou — qui travaille également à Polyomino, sonorisation multiphonique installée au Studio MOD de la Friche. Une multitude d’atmosphères sonores où aller voyager librement, disséminées çà et là… allez, restons en dehors de l’exhaustivité pour encourager notre curiosité ! Côté concerts, le panorama se fait aussi bien varié. On peut citer la présence rock d’avant-garde du cofondateur et guitariste des Sonic Youth Lee Ranaldo, qui écrit et compose désormais plutôt en solo. Sauf qu’il jouera pour l’occasion avec le duo italien My Cat Is An Alien et avec la Marseillaise Sophie Gonthier, aka Anything Maria. Branchée plutôt électro pop, cette dernière oscille en fait entre les musiques club et le rock progressif de son duo The Room, qui ressuscite d’ailleurs avec un album tous les quinze-vingt ans (duo avec le guitariste Jean-Marc Montera, qui sera aussi présent). No wave, rock prog, esprits de la subversion et de l’avenir se retrouvent là pour mettre en guitare, en voix, en cris et en beats le radical et absurdiste poète Antonin Artaud, dans l’un de ses textes inédits : Khabar Enis-Kathar Esti. Après musique et poésie, c’est l’inévitable cocktail musique-danse que nous ne saurions trop recommander, dans une veine encore un doigt plus sombre. Avec Dead trees give no shelter, rendez-vous dans un royaume froid fait de dark ambient, norvégienne s’il faut le situer, du compositeur Helge Sten de Deathprod. Angoisse de mort imminente sur lumières bleues, violettes ou glacées, animée par la chorégraphie de Soa Ratsifandrihana, sur la direction de Florentin Ginot. Pièce de monstration de ce que les sons peuvent faire aux corps et aux âmes, peut-être faut-il être bien accroché·es. Si besoin de se libérer du voile de givre, on vous recommande d’aller visiter des atmosphères plus ardentes, comme chez Les Antécédentes d’Anna Gaïotti et de Vierge Noire. Une pièce à l’idée lumineuse de «  reconditionner le désir » depuis des compréhensions à la marge, de corps eux aussi à la marge : depuis les performances des corps qui travaillent le sexe, ou avec le sexe. Comme avec ces Antécédentes, Propagations inscrit finalement sa programmation dans les actualités d’une société de nuances : le glissement sémantique de ses temps forts pourrait bien, du même coup, s’opérer vers les tendances.  

Margot Dewavrin

 

Festival Propagations : du 5 au 15/05 à Marseille et Aix-en-Provence.

Rens. : 04 96 20 60 10 / gmem.org/festivals/propagations-2022

Le programme complet du festival Propagations ici