Cinefactum + 60 Elephants. Episodes of a Theory + Tonnerre sur Mer (V.O.)

Trois films respectivement réalisés par Thomas Depas (Belgique - 2013 - 7'), Michael Klein & Sasha Pirker (Autriche - 2018 - 22') et Yotam Ben-David (France - 2018 - 46')

Cinefactum
Une clairière, une cabane en bois. Assis, un adolescent y agace un briquet sur une brindille. Voilà la cabane prendre feu. Voilà le gamin debout, immobile, faire face aux flammes, fasciné par le spectacle. Voilà la caméra engager un ballet autour de la scène, jusqu’à la fin de braises. Ronde de la caméra, fascination de ces images Super 8, comme venues de loin, comme un souvenir d’enfance, et le mouvement de la disparition. Voilà, peut-être, ce que couvait le cinefactum du titre : le Fait-cendre. (NF)

60 Elephants. Episodes of a Theory
Les théories architecturales et urbanistiques de Yona Friedman sont fameuses, à commencer par celles de « l’auto-planification ». Si elles remontent à près d’un demi-siècle, elles semblent avoir gagné en actualité. C’est à Paris, chez lui, mais aussi dans les rues que Sasha Pirker et Michael Klein filment, et si sa voix accompagne les images, il ne viendra jamais, lui-même, s’y loger. C’est un va-et-vient fécond qui s’installe du coup entre les paysages urbains et la sagesse provocatrice dans la voix de ce vieil éléphant. (JPR)

Tonnerre sur Mer
Entre le jour et la nuit, les collines d’un village en Israël. Le jeune Dekel tente de se remettre d’une séparation douloureuse. Dans l’imprécision d’un décor naturel baigné par la douceur de la lune, il croise son ami Doron dont les chaussures clignotantes diffusent une lumière visible à des kilomètres. Avec deux autres garçons, ils vont passer la nuit à discuter : parler le plus possible, comme une dernière tentative pour redonner vie à ce qu’ils partagent. Pour son premier film, Yotam Ben-David joue des échelles : les corps de Dekel, Doron, Udi et Rona sont filmés au plus près des sourires et des gestes de séductions esquissées, ou apparaissent lointain comme le tonnerre, petits phares lumineux à la recherche de camarades perdus de vue. Assis en cercle, les quatre jeunes hommes révèlent une composition plus secrète lorsque la caméra les capte séparément, mise en valeur de leurs hors-champ mental et des regards lancés dont on ne sait s’ils survivent à la sortie du cadre. Les boissons et le narguilé savourés portent des histoires de l’enfance et de l’âge adulte, des histoires de galère, de bagarre et de vie homosexuelle. Lorsqu’un instant les voix se taisent, les coyotes poussent leur complainte : dénonciation indirecte, la preuve que malgré le flot de paroles, quelque chose entre les garçons s’est bel et bien dissout. Lucide, Tonnerre sur mer ne s’avoue pas pour autant vaincu et continue encore un bref instant de souffler sur le tison du narguilé pour entretenir son feu. (VP)

Villa Cosquer Méditerranée
Le dimanche 15 juillet 2018 à 12h30
5/6 €
www.fidmarseille.org
Esplanade du J4
13002 Marseille

Article paru le mercredi 4 juillet 2018 dans Ventilo n° 413

FIDMarseille 2018

FID back

 

La vingt-neuvième édition du FID, Festival International de Cinéma de Marseille, déploie une nouvelle programmation passionnante dans plus d’une douzaine de lieux de la cité phocéenne, et confirme, s’il était encore nécessaire, sa place incontournable parmi les festivals européens.

  L’un des festivals majeurs en France — dont peut s’enorgueillir d’ailleurs la cité phocéenne — a déroulé le programme de sa vingt-neuvième édition, qui transcende l’idée même de la diffusion cinématographique, devenant acteur d’une utopie historiographique de l’image en mouvement, durant laquelle le récit se crée à l’instant où il se découvre. Au fil des ans, le FID a non seulement (re)donné sens à l’acte même de montrer les films, par l’exigence dont il fait preuve, mais continue d’inscrire les œuvres dans l’environnement industriel de leur fabrication. Il y a là une forme d’acte (d’art ?) originel, un savoureux péché dont le cinéma s’est éloigné, et qui a cependant longtemps fait son essence. Se rendre au FID dépasse bien largement le seul plaisir cinéphilique, mais, prenant le contrepied de Walter Benjamin, achève une boucle en instillant magistralement le hic et nunc au cœur de chaque séance ancrée selon le philosophe dans la reproductibilité de l’image en mouvement. Une édition marquée cette année par trois figures tutélaires devenues sémiologiquement icônes : Isabelle Huppert, invitée du festival, la merveilleuse Edie Sedgwick — qui marqua les heures glorieuses de la Factory d’Andy Warhol — et feu le président du FID, Paul Otchakovsky-Laurens, dont le travail d’éditeur aura marqué en profondeur l’art littéraire. Impossible de dérouler ici une liste à la Prévert des cent cinquante invité.e.s de cette vingt-neuvième édition, mais citons Wang Bing, Luc Moullet, Jean-Pierre Beauviala, Pierre Creton ou Albert Serra, que nous aurons l’occasion de rencontrer au détour d’une projection. Les cent cinquante films présentés se répartiront au sein des diverses compétitions du festival, mais également lors des écrans parallèles et autres séances spéciales, à l’instar des années précédentes. Internationale, Française, Premier Film et GNCR, ces Compétitions proposent presque exclusivement des premières mondiales — l’une des conditions désormais incontournables pour avoir la chance d’être sélectionné au FID —, avec les nouveaux opus de Jorge León, Albert Serra, Peter Sant, Damir Cucic ou Véronique Aubouy, pour ne citer qu’eux. Le premier écran parallèle sera bien évidemment consacré à Isabelle Huppert, avec une vision kaléidoscopique de sa carrière le long de treize films triés sur le volet, dont les excellents Amateur d’Hal Hartley ou Passion de Jean-Luc Godard. De même pour Edie Sedgwick, dont nous aurons l’immense bonheur de (re)voir les Screen Test de Warhol et bien évidemment l’inoxydable The Chelsea Girls. La thématique « Livre d’image » explorera quant à elle les liens éminemment complexes et historiques entre la littérature — ou plus précisément le livre — et le cinéma. Une rencontre en lettre capitale, où il s’agit plus souvent d’écrire l’image que d’imager le texte. Citons par ailleurs « Make / remake », « Histoires(s) de portrait », la sélection musicale « We’re gonna rock him » ou « Les sentiers » comme autres pistes de découvertes cinéphiliques. Entre le FID Campus, le FID Lab ou les diverses tables rondes, cette nouvelle édition du festival laisse également une place importante à la question même du geste cinématographique, dans son long processus de création, pour une édition 2018 derechef pleine de promesses !  

Emmanuel Vigne

 

FIDMarseille : du 10 au 16/07 à Marseille. Rens. : www.fidmarseille.org