Braquer Poitiers

Comédie de Claude Schmitz (France - 2018 - 59'), avec Wilfrid Ameuille, Francis Soetens...

Davantage pieds nickelés que bandits, Francis et Thomas prennent en otage Wilfrid, propriétaire d’un service de carwash, source de quelques poignées d’euro quotidiennes. Syndrome de Stockholm à l’œuvre chez Wilfrid, mais à sa manière très personnelle, le voilà prendre aussitôt goût à la situation, qu’il se plaît même à théoriser amplement, tandis que l’incertitude gagne les deux compères rejoints par leurs amies venues du Sud. L’intrigue avance sans se presser, sans plus de conviction que nos deux braqueurs d’occasion. Car importe ici surtout une façon d’humour atmosphérique, si l’on peut dire, qui tient autant à la sobriété et à la précision de la mise en scène remarquable de Claude Schmitz qu’au jeu de la petite troupe des protagonistes, tous sidérants, Wilfrid en tête. Si Braquer Poitiers est si résolument drôle, ce n’est pas à chercher le comique, la réplique ou le gag qui fait mouche, c’est plutôt à afficher une forme de réalisme pour mieux le passer au papier de verre, l’enrayer, avec autant de calme détermination que de rage, comme ce moment récité d’une fameuse chanson de Brel. En toute discrétion, en s’en défendant presque, c’est d’une forme pudique de grâce qu’il est question ici. Pour s’autoriser à évoquer sans frime ni désinvolture, l’affaire majeure qui nous concerne, cellede l’emploi de notre temps. Voilà la classe moyenne (nous tous, ou presque) portraiturée : une fois dans le désoeuvrement lassé de brigands à demi, une autre dans l’ennui d’une jeunesse en roue libre, une dernière enfin, la plus surprenante, dans la passion, discursive au moins, d’un poète d’emprunt. (JPR)

Villa Cosquer Méditerranée
Le vendredi 13 juillet 2018 à 20h45
5/6 €
www.fidmarseille.org
Esplanade du J4
13002 Marseille

Article paru le mercredi 4 juillet 2018 dans Ventilo n° 413

FIDMarseille 2018

FID back

 

La vingt-neuvième édition du FID, Festival International de Cinéma de Marseille, déploie une nouvelle programmation passionnante dans plus d’une douzaine de lieux de la cité phocéenne, et confirme, s’il était encore nécessaire, sa place incontournable parmi les festivals européens.

  L’un des festivals majeurs en France — dont peut s’enorgueillir d’ailleurs la cité phocéenne — a déroulé le programme de sa vingt-neuvième édition, qui transcende l’idée même de la diffusion cinématographique, devenant acteur d’une utopie historiographique de l’image en mouvement, durant laquelle le récit se crée à l’instant où il se découvre. Au fil des ans, le FID a non seulement (re)donné sens à l’acte même de montrer les films, par l’exigence dont il fait preuve, mais continue d’inscrire les œuvres dans l’environnement industriel de leur fabrication. Il y a là une forme d’acte (d’art ?) originel, un savoureux péché dont le cinéma s’est éloigné, et qui a cependant longtemps fait son essence. Se rendre au FID dépasse bien largement le seul plaisir cinéphilique, mais, prenant le contrepied de Walter Benjamin, achève une boucle en instillant magistralement le hic et nunc au cœur de chaque séance ancrée selon le philosophe dans la reproductibilité de l’image en mouvement. Une édition marquée cette année par trois figures tutélaires devenues sémiologiquement icônes : Isabelle Huppert, invitée du festival, la merveilleuse Edie Sedgwick — qui marqua les heures glorieuses de la Factory d’Andy Warhol — et feu le président du FID, Paul Otchakovsky-Laurens, dont le travail d’éditeur aura marqué en profondeur l’art littéraire. Impossible de dérouler ici une liste à la Prévert des cent cinquante invité.e.s de cette vingt-neuvième édition, mais citons Wang Bing, Luc Moullet, Jean-Pierre Beauviala, Pierre Creton ou Albert Serra, que nous aurons l’occasion de rencontrer au détour d’une projection. Les cent cinquante films présentés se répartiront au sein des diverses compétitions du festival, mais également lors des écrans parallèles et autres séances spéciales, à l’instar des années précédentes. Internationale, Française, Premier Film et GNCR, ces Compétitions proposent presque exclusivement des premières mondiales — l’une des conditions désormais incontournables pour avoir la chance d’être sélectionné au FID —, avec les nouveaux opus de Jorge León, Albert Serra, Peter Sant, Damir Cucic ou Véronique Aubouy, pour ne citer qu’eux. Le premier écran parallèle sera bien évidemment consacré à Isabelle Huppert, avec une vision kaléidoscopique de sa carrière le long de treize films triés sur le volet, dont les excellents Amateur d’Hal Hartley ou Passion de Jean-Luc Godard. De même pour Edie Sedgwick, dont nous aurons l’immense bonheur de (re)voir les Screen Test de Warhol et bien évidemment l’inoxydable The Chelsea Girls. La thématique « Livre d’image » explorera quant à elle les liens éminemment complexes et historiques entre la littérature — ou plus précisément le livre — et le cinéma. Une rencontre en lettre capitale, où il s’agit plus souvent d’écrire l’image que d’imager le texte. Citons par ailleurs « Make / remake », « Histoires(s) de portrait », la sélection musicale « We’re gonna rock him » ou « Les sentiers » comme autres pistes de découvertes cinéphiliques. Entre le FID Campus, le FID Lab ou les diverses tables rondes, cette nouvelle édition du festival laisse également une place importante à la question même du geste cinématographique, dans son long processus de création, pour une édition 2018 derechef pleine de promesses !  

Emmanuel Vigne

 

FIDMarseille : du 10 au 16/07 à Marseille. Rens. : www.fidmarseille.org