Possible Faces (Eol-gul-deul)

Drame de Lee Kang-hyun (Corée du Sud - 2017 - 2h12), avec Saebyeok Kim, Jonghwan Park...

Kisun, qui occupe un poste administratif dans un lycée, s’intéresse un jour à un étudiant footballeur et découvre le poids du silence qui l’entoure. Hyejin, ex-compagne de Kisun, quitte son travail pour se consacrer à la rénovation du petit restaurant de sa mère. Hyunsoo, livreur, circule dans la ville et fait le lien entre les personnages. Dès le départ, Possible Faces se plaît à distiller une fausse douceur à même de nous tromper. L’omniprésence d’un ciel lourd semble pourtant nous alerter : dans nos corps et nos mots se concentrerait une force bien plus sombre que celle que nous voulons bien afficher. Fin stratège, Lee Kang-hyun (The Color of Pain, FID 2011) opte pour un récit attaché au quotidien sous son angle le plus complexe : d’un jour à l’autre, l’habitude se marie à l’imprévisible et le sens caché des phrases met un temps long à émerger. Possible Faces est certes un puzzle mais dont l’extrême rigueur de la démarche empêche toute dissolution. Peut-être son caractère hypnotique en est-il la clé : sans drame apparent, nos quatre personnages survivent l’un après l’autre aux épreuves dont on devine le hors-champ du récit chargé à l’extrême. Aguerris à une société de la flexibilité, ils composent intuitivement leur masque du jour, du moment. Possible Faces part d’une sensation de vertige chez le spectateur pour la transformer en une rage violente contre une société anesthésiée face à sa propre horreur. Cinéaste cartographe, Lee Kang-hyun joue de différents régimes pour révéler une architecture de la surveillance généralisée où ne circule qu’une haine à l’origine diffuse. Le cinéaste use alors de sa seule arme à même de révéler l’envers de la toile tissée par les quatre personnages : la propre architecture de son film, solide à l’extrême. (VP)

Mucem - Auditorium
Le jeudi 12 juillet 2018 à 15h15
5/6 €
www.fidmarseille.org
7 promenade Robert Laffont
13002 Marseille
04 84 35 13 13

Article paru le mercredi 4 juillet 2018 dans Ventilo n° 413

FIDMarseille 2018

FID back

 

La vingt-neuvième édition du FID, Festival International de Cinéma de Marseille, déploie une nouvelle programmation passionnante dans plus d’une douzaine de lieux de la cité phocéenne, et confirme, s’il était encore nécessaire, sa place incontournable parmi les festivals européens.

  L’un des festivals majeurs en France — dont peut s’enorgueillir d’ailleurs la cité phocéenne — a déroulé le programme de sa vingt-neuvième édition, qui transcende l’idée même de la diffusion cinématographique, devenant acteur d’une utopie historiographique de l’image en mouvement, durant laquelle le récit se crée à l’instant où il se découvre. Au fil des ans, le FID a non seulement (re)donné sens à l’acte même de montrer les films, par l’exigence dont il fait preuve, mais continue d’inscrire les œuvres dans l’environnement industriel de leur fabrication. Il y a là une forme d’acte (d’art ?) originel, un savoureux péché dont le cinéma s’est éloigné, et qui a cependant longtemps fait son essence. Se rendre au FID dépasse bien largement le seul plaisir cinéphilique, mais, prenant le contrepied de Walter Benjamin, achève une boucle en instillant magistralement le hic et nunc au cœur de chaque séance ancrée selon le philosophe dans la reproductibilité de l’image en mouvement. Une édition marquée cette année par trois figures tutélaires devenues sémiologiquement icônes : Isabelle Huppert, invitée du festival, la merveilleuse Edie Sedgwick — qui marqua les heures glorieuses de la Factory d’Andy Warhol — et feu le président du FID, Paul Otchakovsky-Laurens, dont le travail d’éditeur aura marqué en profondeur l’art littéraire. Impossible de dérouler ici une liste à la Prévert des cent cinquante invité.e.s de cette vingt-neuvième édition, mais citons Wang Bing, Luc Moullet, Jean-Pierre Beauviala, Pierre Creton ou Albert Serra, que nous aurons l’occasion de rencontrer au détour d’une projection. Les cent cinquante films présentés se répartiront au sein des diverses compétitions du festival, mais également lors des écrans parallèles et autres séances spéciales, à l’instar des années précédentes. Internationale, Française, Premier Film et GNCR, ces Compétitions proposent presque exclusivement des premières mondiales — l’une des conditions désormais incontournables pour avoir la chance d’être sélectionné au FID —, avec les nouveaux opus de Jorge León, Albert Serra, Peter Sant, Damir Cucic ou Véronique Aubouy, pour ne citer qu’eux. Le premier écran parallèle sera bien évidemment consacré à Isabelle Huppert, avec une vision kaléidoscopique de sa carrière le long de treize films triés sur le volet, dont les excellents Amateur d’Hal Hartley ou Passion de Jean-Luc Godard. De même pour Edie Sedgwick, dont nous aurons l’immense bonheur de (re)voir les Screen Test de Warhol et bien évidemment l’inoxydable The Chelsea Girls. La thématique « Livre d’image » explorera quant à elle les liens éminemment complexes et historiques entre la littérature — ou plus précisément le livre — et le cinéma. Une rencontre en lettre capitale, où il s’agit plus souvent d’écrire l’image que d’imager le texte. Citons par ailleurs « Make / remake », « Histoires(s) de portrait », la sélection musicale « We’re gonna rock him » ou « Les sentiers » comme autres pistes de découvertes cinéphiliques. Entre le FID Campus, le FID Lab ou les diverses tables rondes, cette nouvelle édition du festival laisse également une place importante à la question même du geste cinématographique, dans son long processus de création, pour une édition 2018 derechef pleine de promesses !  

Emmanuel Vigne

 

FIDMarseille : du 10 au 16/07 à Marseille. Rens. : www.fidmarseille.org