Je n'ai plus les yeux + Diane Metamorphosis + 90 Seconds in North Korea + Fantasy Sentences (V.O.)

Quatre courts métrages respectivement réalisés par Laura Haby (France - 2017 - 17'), Christophe Bisson (France - 2018 - 49'), Ranko Paukovic (Pays-Bas - 2017 - 15') et Dane Komljen (Allemagne/Danemark - 2017 - 17')

Je n'ai plus les yeux
Se souvenant de ce qui est possible au théâtre, à l’opéra, dans un hörspiel (une pièce radiophonique), Laura Haby propose un drame en trois actes, ceux de la vie d’un homme. Filmer alors qu’un personnage tente de tout dire de trois moments de sa vie. On y rencontre un garde-forestier, des enfants, un affabulateur… Qui sont-ils ? L’impact arrive vite avant de tout « entre-entendre. »

Diane Metamorphosis
D’une mythologie à une autre, Diane devient Artemis, figure du jour, du soleil, ou alors, lunaire, sauvage, paradoxale déesse virginale liée aux femmes donnant vie. Ces miroitantes représentations d’une femme légendaire deviennent les personnages successifs du film de Christophe Bisson. Sans donner corps à chacune de ces apparitions, il offre la suggestion d’une hypothétique figure, telle Echo s’effaçant dans la répétition de la parole des autres. Les longs plans évidés s’ouvrent à toute interprétation.

90 Seconds in North Korea
Accepter ou déjouer les contraintes d’un tournage en Corée du Nord ? Tous les films tournés dans cette région du monde en soulignent la censure. Ranko Pokovic applique un principe unique à toutes ses images : une manipulation élémentaire lui permet de surexposer ce qu’il n’est possible que d’entrapercevoir. De ce choix à l’image résulte des conséquences au son, qui sera du coup l’objet d’une recomposition minutieuse et discrète. Une Corée du Nord par fragment.

Fantasy Sentences
Cela débute comme La charnière de Bonfanti, un film sans image et pour voix seules, sauf que cette voix masquée parmi les bruits de surface de cet enregistrement endommagé restera, malgré la traduction en sous-titres, peu compréhensible. Dane Komljen précise parfois qu’elle dirait : « les souvenirs sont devenus des arbres ». Faut-il réellement oublier les feuillages, identiques aux rayures d’une pellicule trouvée, similaires aux craquements d’une bande magnétique froissée ? Être attentif aux arbres.

Cinéma Les Variétés
Du 12 au 15 juil. : jeu 10h30 - dim 11h
5/6 €
www.fidmarseille.org
37 rue Vincent Scotto
13001 Marseille
04 91 35 20 86
08 92 68 05 97

Article paru le mercredi 4 juillet 2018 dans Ventilo n° 413

FIDMarseille 2018

FID back

 

La vingt-neuvième édition du FID, Festival International de Cinéma de Marseille, déploie une nouvelle programmation passionnante dans plus d’une douzaine de lieux de la cité phocéenne, et confirme, s’il était encore nécessaire, sa place incontournable parmi les festivals européens.

  L’un des festivals majeurs en France — dont peut s’enorgueillir d’ailleurs la cité phocéenne — a déroulé le programme de sa vingt-neuvième édition, qui transcende l’idée même de la diffusion cinématographique, devenant acteur d’une utopie historiographique de l’image en mouvement, durant laquelle le récit se crée à l’instant où il se découvre. Au fil des ans, le FID a non seulement (re)donné sens à l’acte même de montrer les films, par l’exigence dont il fait preuve, mais continue d’inscrire les œuvres dans l’environnement industriel de leur fabrication. Il y a là une forme d’acte (d’art ?) originel, un savoureux péché dont le cinéma s’est éloigné, et qui a cependant longtemps fait son essence. Se rendre au FID dépasse bien largement le seul plaisir cinéphilique, mais, prenant le contrepied de Walter Benjamin, achève une boucle en instillant magistralement le hic et nunc au cœur de chaque séance ancrée selon le philosophe dans la reproductibilité de l’image en mouvement. Une édition marquée cette année par trois figures tutélaires devenues sémiologiquement icônes : Isabelle Huppert, invitée du festival, la merveilleuse Edie Sedgwick — qui marqua les heures glorieuses de la Factory d’Andy Warhol — et feu le président du FID, Paul Otchakovsky-Laurens, dont le travail d’éditeur aura marqué en profondeur l’art littéraire. Impossible de dérouler ici une liste à la Prévert des cent cinquante invité.e.s de cette vingt-neuvième édition, mais citons Wang Bing, Luc Moullet, Jean-Pierre Beauviala, Pierre Creton ou Albert Serra, que nous aurons l’occasion de rencontrer au détour d’une projection. Les cent cinquante films présentés se répartiront au sein des diverses compétitions du festival, mais également lors des écrans parallèles et autres séances spéciales, à l’instar des années précédentes. Internationale, Française, Premier Film et GNCR, ces Compétitions proposent presque exclusivement des premières mondiales — l’une des conditions désormais incontournables pour avoir la chance d’être sélectionné au FID —, avec les nouveaux opus de Jorge León, Albert Serra, Peter Sant, Damir Cucic ou Véronique Aubouy, pour ne citer qu’eux. Le premier écran parallèle sera bien évidemment consacré à Isabelle Huppert, avec une vision kaléidoscopique de sa carrière le long de treize films triés sur le volet, dont les excellents Amateur d’Hal Hartley ou Passion de Jean-Luc Godard. De même pour Edie Sedgwick, dont nous aurons l’immense bonheur de (re)voir les Screen Test de Warhol et bien évidemment l’inoxydable The Chelsea Girls. La thématique « Livre d’image » explorera quant à elle les liens éminemment complexes et historiques entre la littérature — ou plus précisément le livre — et le cinéma. Une rencontre en lettre capitale, où il s’agit plus souvent d’écrire l’image que d’imager le texte. Citons par ailleurs « Make / remake », « Histoires(s) de portrait », la sélection musicale « We’re gonna rock him » ou « Les sentiers » comme autres pistes de découvertes cinéphiliques. Entre le FID Campus, le FID Lab ou les diverses tables rondes, cette nouvelle édition du festival laisse également une place importante à la question même du geste cinématographique, dans son long processus de création, pour une édition 2018 derechef pleine de promesses !  

Emmanuel Vigne

 

FIDMarseille : du 10 au 16/07 à Marseille. Rens. : www.fidmarseille.org