Tomorrow (V.O.)

Drame de Yuliya Shatun (Biélorussie - 2017 - 1h15), avec Anatoly Shatun, Oksana Shatun...

Dans une petite ville de Biélorussie recouverte par la neige, un ancien professeur d’anglais gagne tant bien que mal sa vie en distribuant des tracts dans les boîtes aux lettres. Le soir, il retrouve sa femme dans la pénombre de leur appartement. Ensemble, ils évoquent leur fils qui étudie à Minsk et qu’ils ne voient que très rarement. Peut-être seule excitation de la semaine, l’achat d’un billet de loterie qui ouvre pour quelques instants les portes du rêve.
Au départ étrangement fixée sur les étendues blanches qui bordent chaque route, la caméra de Yuliya Shatun va se mettre à scruter le professeur dans ses va et vient, captation précise mais aux accents moroses d’un territoire aujourd’hui si rare au cinéma. Sans détresse, le professeur s’est adapté à un monde déliquescent et à une vie nourrie de honte tue. Un parfum d’abandon circule entre les blocs, les mots lâchés et la télévision qui résonne. L’ironie aussi est présente, flottante, et il faut la patience de Yuliya Shatun pour la saisir et l’assumer. C’est l’anonymat général qui semble semble crier à l’aide pour qu’ enfin on le sorte de cet ennui généré par la pauvreté. Mais lorsque le récit se déplace jusqu’à la grande ville, c’est la peur plus que l’étonnement qui habille la foule. Les lumières fascinent peu et nous intiment presque de fuir. La fiction, qui ne rechignait pas à l’humour, se dissout dans une plus grande attention aux flux anonymes et même notre professeur disparaît pour un temps. La cité monnaie chaque mètre parcouru, distribue des espoirs à la pelle pour aussitôt les anéantir sans remords. A qui revient la tâche de modérer nos rêves ? Pour Yuliya Shatun, par la fenêtre de la maison, la réponse se trouve peut-être au sein des immobiles étendues blanches qui, elles, ne mentent pas. (VP)

Mucem - Auditorium
Le mercredi 11 juillet 2018 à 14h15
5/6 €
www.fidmarseille.org
7 promenade Robert Laffont
13002 Marseille
04 84 35 13 13

Article paru le mercredi 4 juillet 2018 dans Ventilo n° 413

FIDMarseille 2018

FID back

 

La vingt-neuvième édition du FID, Festival International de Cinéma de Marseille, déploie une nouvelle programmation passionnante dans plus d’une douzaine de lieux de la cité phocéenne, et confirme, s’il était encore nécessaire, sa place incontournable parmi les festivals européens.

  L’un des festivals majeurs en France — dont peut s’enorgueillir d’ailleurs la cité phocéenne — a déroulé le programme de sa vingt-neuvième édition, qui transcende l’idée même de la diffusion cinématographique, devenant acteur d’une utopie historiographique de l’image en mouvement, durant laquelle le récit se crée à l’instant où il se découvre. Au fil des ans, le FID a non seulement (re)donné sens à l’acte même de montrer les films, par l’exigence dont il fait preuve, mais continue d’inscrire les œuvres dans l’environnement industriel de leur fabrication. Il y a là une forme d’acte (d’art ?) originel, un savoureux péché dont le cinéma s’est éloigné, et qui a cependant longtemps fait son essence. Se rendre au FID dépasse bien largement le seul plaisir cinéphilique, mais, prenant le contrepied de Walter Benjamin, achève une boucle en instillant magistralement le hic et nunc au cœur de chaque séance ancrée selon le philosophe dans la reproductibilité de l’image en mouvement. Une édition marquée cette année par trois figures tutélaires devenues sémiologiquement icônes : Isabelle Huppert, invitée du festival, la merveilleuse Edie Sedgwick — qui marqua les heures glorieuses de la Factory d’Andy Warhol — et feu le président du FID, Paul Otchakovsky-Laurens, dont le travail d’éditeur aura marqué en profondeur l’art littéraire. Impossible de dérouler ici une liste à la Prévert des cent cinquante invité.e.s de cette vingt-neuvième édition, mais citons Wang Bing, Luc Moullet, Jean-Pierre Beauviala, Pierre Creton ou Albert Serra, que nous aurons l’occasion de rencontrer au détour d’une projection. Les cent cinquante films présentés se répartiront au sein des diverses compétitions du festival, mais également lors des écrans parallèles et autres séances spéciales, à l’instar des années précédentes. Internationale, Française, Premier Film et GNCR, ces Compétitions proposent presque exclusivement des premières mondiales — l’une des conditions désormais incontournables pour avoir la chance d’être sélectionné au FID —, avec les nouveaux opus de Jorge León, Albert Serra, Peter Sant, Damir Cucic ou Véronique Aubouy, pour ne citer qu’eux. Le premier écran parallèle sera bien évidemment consacré à Isabelle Huppert, avec une vision kaléidoscopique de sa carrière le long de treize films triés sur le volet, dont les excellents Amateur d’Hal Hartley ou Passion de Jean-Luc Godard. De même pour Edie Sedgwick, dont nous aurons l’immense bonheur de (re)voir les Screen Test de Warhol et bien évidemment l’inoxydable The Chelsea Girls. La thématique « Livre d’image » explorera quant à elle les liens éminemment complexes et historiques entre la littérature — ou plus précisément le livre — et le cinéma. Une rencontre en lettre capitale, où il s’agit plus souvent d’écrire l’image que d’imager le texte. Citons par ailleurs « Make / remake », « Histoires(s) de portrait », la sélection musicale « We’re gonna rock him » ou « Les sentiers » comme autres pistes de découvertes cinéphiliques. Entre le FID Campus, le FID Lab ou les diverses tables rondes, cette nouvelle édition du festival laisse également une place importante à la question même du geste cinématographique, dans son long processus de création, pour une édition 2018 derechef pleine de promesses !  

Emmanuel Vigne

 

FIDMarseille : du 10 au 16/07 à Marseille. Rens. : www.fidmarseille.org