Documentaire de Milo Rau (Suisse - 2017 - 1h40). Projection suivie d'une rencontre avec le réalisateur
Après deux ans de préparation, le dramaturge et cinéaste Milo Rau a réussi à mettre sur pied, dans une logique déjà expérimentée avec le film Le procès de Moscou, un procès fictif qui s’est tenu pendant trois jours à Bakavu au printemps 2015. Son but : éclairer la sanglante guerre civile qui, en une vingtaine d’années, a fait plus de six millions de victimes en République Démocratique du Congo. Tribunal sur le Congo met donc en scène un tribunal du peuple, en réunissant des témoins, les bourreaux et victimes, ainsi qu’un jury international et deux juges du Tribunal Pénal International de La Haye. A travers un habile montage passant des audiences à des interviews et enquêtes réalisées in situ, Milo Rau restitue l’horreur par bribes, tout en soulevant quelques questions essentielles : l’armée et le gouvernement de RDC sont-ils responsables des attaques contre la population civile ? La communauté internationale peut elle être accusée de complicité avec ce gouvernement ?
Par son activisme, Milo Rau dépasse alors les limites de son théâtre : « Il y a eu des changements au sein du gouvernement congolais. Je souhaite aller plus loin. Ces procès sont symboliques mais l’on voit qu’ils peuvent avoir une influence politique directe ». (d’après la Tribune de Genève)
Cinéma Le Gyptis Le mardi 20 novembre 2018 à 19h30 5/6 € www.lesrencontresalechelle.com
136 rue Loubon 13003 Marseille 04 95 04 96 25
Article paru le mercredi 31 octobre 2018 dans Ventilo n° 417
Les Rencontres à l’Échelle 2018
Ouvrez les Bancs
Vingt ans, un bel âge, n’est ce pas ? Il y a quelques semaines, c’était un anniversaire bien festif dont nous ont gratifié les Bancs Publics sur le toit-terrasse de la Friche. La semaine prochaine, comme un sirocco dans la nuit de novembre, débute le principal temps fort de ces Rencontres qui ont changé d’échelle. Tour d’horizon et perspectives.
Que de chemin parcouru depuis 2007 et l’ancienne salle de boxe des bas-fonds de la Belle de Mai, quand naquit la première édition des Rencontres à l’Échelle… On y proposait alors quelques pépites de la création contemporaine du Maghreb ou du Moyen-Orient, le plus souvent en petit format, proportionnellement à la taille des locaux et des budgets.
Depuis deux ans, grâce à une confiance patiemment tissée entre les partenaires et à la formidable énergie de la petite équipe des Bancs Publics, les formes cheap ont cédé la place à des créations plus grand format, le plus souvent proposées à la Friche (où la structure est devenue résidente), mais aussi dans la ville : Rome ne s’est pas faite en un jour, la Tour de Babel non plus ! Car qu’on ne s’y méprenne pas : les créations présentées ici ne choisissent pas leur identité culturelle pour seul argument, et si le festival a historiquement voulu se concentrer sur la création contemporaine au Maghreb ou au Moyen-Orient, force est de constater que l’origine géographique n’a plus l’exclusivité de la raison d’être de cette édition — si tant est qu’elle l’ait eu vraiment une fois. Et pour cause. Les printemps arabes ont bien eu lieu mais sont déjà loin, les attentats terroristes islamistes perpétrés sur le sol européen et les mouvements migratoires de masse que nous connaissons bien par les médias et par toutes les passions qu’ils déchaînent ne nous font plus découvrir, éberlués, qu’un autre monde existe au lointain : nous l’avons déjà incorporé à notre quotidien et à notre imaginaire d’Européens. Les idées et les hommes ont bien chacun un port d’attache mais circulent — plus ou moins librement, on vous l’accorde… Alors ici, dans cette ville-monde qu’est Marseille, n’est-il particulièrement bienvenu de proposer une édition qui touche du doigt et rassemble dans sa main des artistes maliens, ivoiriens, allemands, grecs, égyptiens, algériens, et même français ? Dans cette ville où nous habitons, où nous croyons tous (un peu mieux) savoir ce que signifie les communautés au pluriel, parce qu’elles y seraient visibles et colorées, que savons-nous finalement des gens que l’on croise dans une rue sans pour autant dire bonjour, que savons-nous des réalités de chacun de leurs membres ? Que sait-on du quotidien et des rêves de chacun, de comment pense l’autre, quand nous sommes emportés dans le tourbillon d’une masse d’informations qui nous noie et nous rend le regard flou — ou bêtement fixé sur l’écran de nos réseaux sociaux ?
Alors, pendant cette édition, les langues vont se délier. Des langues qui ne cherchent pas la francophonie ni la monogamie dominante. Des langues qui sont autant de langues qu’il y a d’acteurs sur le plateau. Et si les mots ne seront pas vraiment politiques et que ce ne sont guère des analyses qui nous seront proposées, ce seront des prises de parole, des points de vue, sur la famille, sur la sexualité, sur ce qui fait presque la réalité et le quotidien de tout un chacun sur cette planète et qui se dit être humain. Sauf que voilà, quand on parle, on parle toujours depuis son expérience. Et ces artistes-là ne font pas qu’en gloser. Ils vont nous donner à voir, avec humilité, talent et créativité, tout ce qui fait un petit bout de leur vie rêvée, de leurs fantasmes autant que de leurs réalités. Aux marges du théâtre documentaire ou en dansant un bon coupé-decalé version afro-pop, vous irez votre chemin, et on vous souhaite vraiment une bonne route. N’ayez surtout pas peur, vous allez y rencontrer du monde, des mondes… et faire le vôtre.
Joanna Selvidès
Les Rencontres à l’Échelle : du 7/11 au 1/12 à Marseille.