Documentaire de Nicolas Klotz & Élisabeth Perceval (France - 2017 - 3h39). Projection suivie d’une rencontre avec le réalisateur N. Klotz.
"Film primitif et épique, L’Héroïque Lande raconte comment cette ville naissante, en pleine croissance, où vivaient près de 7 800 personnes, sera détruite à 50% en février 2016. Comment les 4 000 migrants expulsés de la zone Sud, tenteront ensuite de renaître de leurs cendres dans la zone Nord. Avant que l’État ne décide d’anéantir l’ensemble du territoire en octobre 2016 et de disperser ses quelques 11 000 habitants, aux quatre coins de la France."
Voilà comment Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval présentent leur projet à propos de la dite "Jungle" de Calais, dont le titre et ce qu’il tente de recueillir, dit assez l’ambition. D’ampleur, on la mesure, si véritable mesure de ceci il est possible de partager. Or il s’agira justement de cela : du pari d’un partage, du défi d’un témoignage, qui fassent justice à la difficulté, mais aussi à la complexité, au sens le plus riche du terme, de cette situation. Que personne ici ne soit "objet" du film, que personne ici ne soit à la charge d’un cadre, d’une prise de son, mais qu’au contraire, tous et chacun viennent nourrir une image, viennent alimenter la circulation des paroles, viennent, entiers, se dresser contre l’abjection du déni d’existence. Ce que ces cinéastes montrent du coup ? Non pas la survie, et son lot de misères, de soumissions – et tout cela est en effet subi, qui le nierait ? ; mais l’affirmation des vies, des destinées, des puissances – d’où la lande déserte devenue étrangement terre de héros. D’où aussi l’emploi de musiques, même quand elle sont choisies par-dessus le son in. Car il ne s’agit pas tant de véracité ici que de véridiction. Autrement dit, il ne s’agit pas tant de prétendre coller aux faits que de décoller les mauvaises agglutinations et revendiquer une communauté précaire, mais puissante.
Cinéma La Baleine Le dimanche 25 novembre 2018 à 16h30 6,50/9 € www.lesrencontresalechelle.com
59 cours Julien 13006 Marseille 04 13 25 17 17 06 01 06 46 39
Article paru le mercredi 31 octobre 2018 dans Ventilo n° 417
Les Rencontres à l’Échelle 2018
Ouvrez les Bancs
Vingt ans, un bel âge, n’est ce pas ? Il y a quelques semaines, c’était un anniversaire bien festif dont nous ont gratifié les Bancs Publics sur le toit-terrasse de la Friche. La semaine prochaine, comme un sirocco dans la nuit de novembre, débute le principal temps fort de ces Rencontres qui ont changé d’échelle. Tour d’horizon et perspectives.
Que de chemin parcouru depuis 2007 et l’ancienne salle de boxe des bas-fonds de la Belle de Mai, quand naquit la première édition des Rencontres à l’Échelle… On y proposait alors quelques pépites de la création contemporaine du Maghreb ou du Moyen-Orient, le plus souvent en petit format, proportionnellement à la taille des locaux et des budgets.
Depuis deux ans, grâce à une confiance patiemment tissée entre les partenaires et à la formidable énergie de la petite équipe des Bancs Publics, les formes cheap ont cédé la place à des créations plus grand format, le plus souvent proposées à la Friche (où la structure est devenue résidente), mais aussi dans la ville : Rome ne s’est pas faite en un jour, la Tour de Babel non plus ! Car qu’on ne s’y méprenne pas : les créations présentées ici ne choisissent pas leur identité culturelle pour seul argument, et si le festival a historiquement voulu se concentrer sur la création contemporaine au Maghreb ou au Moyen-Orient, force est de constater que l’origine géographique n’a plus l’exclusivité de la raison d’être de cette édition — si tant est qu’elle l’ait eu vraiment une fois. Et pour cause. Les printemps arabes ont bien eu lieu mais sont déjà loin, les attentats terroristes islamistes perpétrés sur le sol européen et les mouvements migratoires de masse que nous connaissons bien par les médias et par toutes les passions qu’ils déchaînent ne nous font plus découvrir, éberlués, qu’un autre monde existe au lointain : nous l’avons déjà incorporé à notre quotidien et à notre imaginaire d’Européens. Les idées et les hommes ont bien chacun un port d’attache mais circulent — plus ou moins librement, on vous l’accorde… Alors ici, dans cette ville-monde qu’est Marseille, n’est-il particulièrement bienvenu de proposer une édition qui touche du doigt et rassemble dans sa main des artistes maliens, ivoiriens, allemands, grecs, égyptiens, algériens, et même français ? Dans cette ville où nous habitons, où nous croyons tous (un peu mieux) savoir ce que signifie les communautés au pluriel, parce qu’elles y seraient visibles et colorées, que savons-nous finalement des gens que l’on croise dans une rue sans pour autant dire bonjour, que savons-nous des réalités de chacun de leurs membres ? Que sait-on du quotidien et des rêves de chacun, de comment pense l’autre, quand nous sommes emportés dans le tourbillon d’une masse d’informations qui nous noie et nous rend le regard flou — ou bêtement fixé sur l’écran de nos réseaux sociaux ?
Alors, pendant cette édition, les langues vont se délier. Des langues qui ne cherchent pas la francophonie ni la monogamie dominante. Des langues qui sont autant de langues qu’il y a d’acteurs sur le plateau. Et si les mots ne seront pas vraiment politiques et que ce ne sont guère des analyses qui nous seront proposées, ce seront des prises de parole, des points de vue, sur la famille, sur la sexualité, sur ce qui fait presque la réalité et le quotidien de tout un chacun sur cette planète et qui se dit être humain. Sauf que voilà, quand on parle, on parle toujours depuis son expérience. Et ces artistes-là ne font pas qu’en gloser. Ils vont nous donner à voir, avec humilité, talent et créativité, tout ce qui fait un petit bout de leur vie rêvée, de leurs fantasmes autant que de leurs réalités. Aux marges du théâtre documentaire ou en dansant un bon coupé-decalé version afro-pop, vous irez votre chemin, et on vous souhaite vraiment une bonne route. N’ayez surtout pas peur, vous allez y rencontrer du monde, des mondes… et faire le vôtre.
Joanna Selvidès
Les Rencontres à l’Échelle : du 7/11 au 1/12 à Marseille.