Ubu © Sebastien Normand

Retour sur le Train Bleu & l’Invasion Olivier Martin-Salvan

Ubu roi du Train bleu

 

Le Train Bleu a assuré sur toute la ligne ! Propositions disparates et temps variable n’ont pas fait dévier de sa trajectoire festive et novatrice la nouvelle locomotive culturelle de la Côte Bleue.

 

Au moment où la SNCF ferme toutes ses boutiques et supprime une à une les petites lignes qui facilitaient pourtant le quotidien de bien des gens, le Train Bleu fait un peu figure de petite fleur, colorée de poésie, poussée au milieu du bétonnage de la rentabilité. Son concept de propositions artistiques le long de la ligne ferroviaire de la Côte Bleue, s’il n’en est qu’à sa troisième édition, fait immanquablement partie du paysage culturel régional. Mais pas que ! Le parcours numéro 5 Marseille-Istres du samedi 8 avril comptait aussi dans ses rangs un couple de Parisiens, venus spécialement passer le week-end à Marseille pour cet événement. Attirés par la compagnie Begat Theater, vue précédemment, ils purent retrouver l’inventivité qui les avait séduits en écoutant sur le trajet Les Voix de la ligne 7 (régies par Philippe Laliard), via une application téléchargeable sur smartphone. Des saynètes/tranches de vie — « C’est toi le spectacle », « Préhistoire et Fernandel », « L’un contre l’autre », etc. — déclinées entre deux gares à la façon d’une conversation attrapée au vol, intrusion dans l’intimité de ses proches voisins de voyage.

Côte à Côte (Bleue)

La proximité et la pluralité sont en effet le fer de lance de cette édition, que ce soit en termes de sites, de compagnies locales invitées (Josette Baïz/Grenade, le Théâtre Nono, Clara Le Picard étonnante au site Picasso de Martigues via les Salins…), de parcours différents chaque jour, de moyens de circulation…

En investissant les transports en commun, le Train Bleu a misé sur la communauté et les rencontres qui n’ont pas manqué de se créer dans la mitoyenneté des wagons du TER ou des bus. Un « faire ensemble » par le biais d’une expérience partagée, agrémentée des imprévus de la météo, des aléas du voyage, de l’humeur de chacun.

Le partage et la mixité ont donc nécessité des propositions plus grand public qui, si elles peuvent parfois dérouter les habitués des lieux programmateurs, ont l’avantage d’amener des néophytes qui ont tout autant droit de cité dans les théâtres. In the Middle au Théâtre de l’Olivier en est un exemple significatif. Marion Motin, à l’exception de la belle prestation vocale d’ouverture d’une de ses danseuses, est visiblement plus adroite dans l’exercice de la chorégraphie de clips (Stromae, Christine and the Queens) ou de comédie musicale (Résiste de France Gall) que dans la construction d’un spectacle intégral pour son Swaggers Crew. Mais le public a apprécié. De même que la carte blanche de Balkis Moutashar au Magic Mirrors d’Istres. Pourtant, ce cabaret façon Crazy Horse revisité et déconstruit a cherché vainement son propos. Peut-être fallait-il juste se laisser aller au divertissement…

Un des points forts et enchanteurs du Train Bleu 2017 a été l’éclectisme de ses lieux : Koltès aux Terrasses du Port (Roland Auzet), le J5/archiculturel raconté par l’acteur François Champeau, Kubilai Khan Investigations au Fort de Bouc dans le cadre des Collections secrètes du Théâtre des Salins… Mais le point culminant fut le Muséum d’Histoire naturelle de Marseille, par la force de la proposition du comédien et metteur en scène Olivier Martin Salvan. Cette déambulation théâtrale créée spécialement pour l’occasion fut l’une des plus représentatives de l’implication du public et de l’esprit nomade souhaités par le Train Bleu. Sur le programme, la silhouette d’Olivier Martin-Salvan, auquel le Théâtre de la Criée offrait une de ses Invasions, trottinant le long des parcours constitués est l’illustration même de son désir de faire du théâtre hors les murs : «Ma cible principale est le public et son élargissement. Mon idée est d’aller chercher les moyens d’une réelle mixité du public. Il y a soixante-dix ans que la décentralisation a vu le jour, on peut se demander ce que cela veut encore dire aujourd’hui… »

Et si l’on avait rêvé avec lui que son irrésistible et irrévérencieux spectacle Ubu fasse halte dans diverses petites salles ou places jalonnant la célèbre ligne côtière, comme ce fut le cas dans le In d’Avignon 2015, la conjoncture économique actuelle en a décidé autrement. Parions que quelques téméraires structures s’y essaient à nouveau sur cette ligne ou sur la trajectoire Aix-Marseille.

Le théâtre visité

Au Musée, les spectateurs du parcours ont eu le privilège de se retrouver dans les coulisses d’une troupe de théâtre, au cœur de l’exercice des notes que tout metteur en scène fait après le spectacle. Ici, des notes croustillantes ou significatives du travail collectif que les cinq artistes/créateurs (Thomas Blanchard, Robin Causse, Mathilde Hennegrave, Gilles Ostrowsky et Olivier Martin-Salvan) ont mené autour du texte de Jarry. Comme une mise en confidence des secrets de la création de l’Ubu qu’ils allaient voir le soir à la Criée.

Durant cet après-midi, il y eut également une invasion dans l’Invasion avec une mise en perspectives et en textes de tous les auteurs importants du parcours artistique d’Olivier Martin-Salvan, ceux qui l’ont amené jusqu’à Jarry et Ubu. De Rabelais (lecture d’une lettre de Gargantua, passage de son Pantagruel) à Novarina en chansons, OMS a décliné sa confrérie d’auteurs humanistes et l’a mise en rapport avec le discours d’intronisation de Trump que Libération avait repris sous le titre « Donald Trump à la maison blanche : Ubu roi ».

« Outre les discussions et échanges que cela a suscités par la suite, le soir pour le spectacle nous avions un nouveau partenaire : le tiers de la salle que l’on avait rencontré l’après-midi au Musée. Ce qui en fit une très belle représentation, s’enthousiasme le comédien. Un des autres temps forts de notre passage à Marseille a été la représentation d’Ubu à l’Université d’Aix-Marseille : il y avait des comédiens, des lycéennes voilées, des personnes en formation AFPA… Cela a donné lieu à des dialogues incroyables sur le théâtre. Le théâtre est encore le dernier endroit où l’on peut commenter notre vie interculturelle, intergénérationnelle et qui reste une terre d’utopie. »

Ce focus Olivier Martin Salvan a véritablement permis de balayer l’éclectisme foisonnant du répertoire actif de cet artiste iconoclaste et prolixe (Bigre et Ubu en tournée actuellement). Même si un problème de santé a vu l’annulation du magnifique projet de sa Religieuse à la fraise avec Kaori Ito sous l’ombrière du Vieux-Port et que la représentation d’Ubu aux Baumettes est reportée en juillet, la rencontre avec le public marseillais a bien eu lieu. À tel point que des éconduits des représentations de Marseille (qui affichaient complet) sont venus aux Bouffes du Nord où le spectacle se joue actuellement. Vous avez dit décentralisation ? On dirait bien que le Train Bleu nous amène ailleurs…

 

Marie Anezin

  • Le Train Bleu s’est déroulé du 31/03 au 09/04 sur l’itinéraire du Train de la Côte Bleue (Marseille, Ensuès-la-Redonne, Istres, Martigues et Port-de-Bouc).

  • L’Invasion Olivier Martin-Salvan a eu lieu du 23/03 au 1/04 au Théâtre La Criée.