Africa Express © Jean de Pena

Retour sur Africa Express à la Fiesta des Suds

Le luxe à l’intercontinentale

 

La présentation du projet Africa Express a incontestablement été le temps fort de la Fiesta des Suds 2013. Retour sur une aventure pharaonique mais à taille humaine.

 

C’était un peu comme dans un rêve : plus de 80 musiciens réunis sur une même scène, par-delà leurs agendas respectifs et leurs trajectoires, leurs cultures et leurs esthétiques propres, pour un spectacle qui par sa seule durée — cinq heures — défie toutes les lois de la raison dans le milieu très codifié de l’industrie du « live ». Sur le papier, un pari aussi ambitieux que risqué : faire tenir toute une soirée la grande scène d’un festival par une seule et unique proposition, confuse dans son essence même (où sont les leaders ? Qui sera réellement présent ? Pour jouer quoi et avec qui ?), mais aussi totalement kamikaze en termes de mise en place (on vous laisse imaginer le foutoir en amont, en direct et en backstage). Cela d’autant que, il y a deux ans au même endroit, une première excroissance du projet (Honest Jon’s Chop Up) n’avait pas laissé un souvenir impérissable… Seulement voilà, cette présentation — exceptionnelle par nature — du projet Africa Express, point d’orgue de cette cuvée 2013 de la Fiesta des Suds, a été une impériale réussite. Pour mille et une raisons. Eliminons d’emblée toute tentative de retranscription hasardeuse dudit concert, tout simplement parce que nous n’avons pas tout vu (peu s’y sont essayés), préférant bien sûr se laisser griser par l’instant : dans cette enceinte, on parle, on chine, on boit, mais on ne campe jamais longtemps au même endroit. Et puis, autant de concerts délivrés en un seul, ça ferait quand même beaucoup de monde à citer, or, il n’y a précisément aucune raison que l’on privilégie ici l’un ou l’autre, selon que l’on connaisse déjà son nom, selon qu’il a été meilleur ce soir : tout cela est finalement affaire de point de vue. Bien plus instructif est donc le déroulé du programme : après avoir répété sommairement, deux jours durant, dans quatre espaces aménagés pour l’occasion (aussitôt renommés par le staff « Hope », « Love », « Peace » et « Chaos »), une foultitude de musiciens livre en pâture au public le fruit de jam-sessions forcément aventureuses, car sujettes à déclencher le feu d’une critique habituée à distinguer, depuis des lustres, ce qui est esthétiquement acceptable de ce qui ne l’est pas. Est-il si pertinent de faire se rencontrer l’indie-pop anglaise avec la musique traditionnelle africaine ? La variété « tous publics » avec un projet de niche ? Etonnamment, oui, puisque le geste est aussi radical que spontané. Renseignements pris, chacun est ici logé à la même enseigne (cachet, hôtel, ce genre) et cela se ressent naturellement dans le rendu de la prestation. Même les vides, les « blancs » générés par les changements de plateaux retrouvent de leur sens : ce n’est pas qu’il ne se passe rien, c’est qu’il va se passer quelque chose. Parfois, ça se casse la gueule (bien tenté), mais il arrive aussi que cela débouche sur des petits miracles, comme ce moment où Rachid, Damon, Mathieu, Seye et quelques autres soufflent sur les braises du très symbolique Rock the Casbah (trente ans de « sono mondiale » en un seul morceau). Dans ces moments, c’est un grand bordel où il n’y aurait pas de putes et de rejetons illégitimes, un grand chaos dans un havre de paix improvisé le temps d’un soir, où l’espoir peut à nouveau surgir de l’intérêt que chacun porte à sa petite partition. Ce qui s’est joué ici, ce n’est donc plus l’hommage bancal d’un continent à un autre, mais une juste démonstration de ce postulat de base : jouons à armes égales… et advienne que pourra. Pour finir, il reste utile de préciser que ce rêve est à l’origine porté par un homme, Damon Albarn (Blur/Gorillaz), qui aurait tout aussi bien pu s’installer confortablement dans son statut de pop star, et ne pas aller fourrer ses pattes dans cette galère qui avait toutes les chances, en théorie, d’échouer. Le rêve a été relayé à Marseille sous l’impulsion d’une équipe régénérée depuis quelques années, et il va sans dire que la Fiesta des Suds, non contente de sceller son union avec Africa Express, a très certainement trouvé ici son point d’équilibre.

PLX

 

Africa Express était présenté le 19/10 au Dock des Suds, dans le cadre de la Fiesta des Suds

Pour en savoir plus : www.africaexpress.co.uk