Apologies 4 & 5 © Marylena Stafylidou

Retour sur le Festival Parallèle

Un monde Parallèle

 

En marge du quotidien, le festival Parallèle, septième du nom, est venu positivement chambouler notre semaine par son contraste vivifiant.

 

Pour sa septième édition, Parallèle confirme sa place de festival soutenant la jeune création. Des propositions diverses aux perspectives singulières, à l’image du foisonnement artistique qui excite les scènes de France, de Navarre et d’ailleurs.

Tours de scènes des spectacles auxquels nous avons assisté.

 

Dans le nom par la Cie La Femme Coupée en Deux au Théâtre La Criée

© Simon Gosselin

Tout commence dans une fumée épaisse. Dans l’incertitude. Tout commence avec deux morts et deux vivants. Deux orphelins, Davy et Ilona, s’installent à la campagne pour se lancer dans l’agriculture moderne. Avec cette création, Tiphaine Raffier nous plonge dans ce monde inconnu. Un monde où très vite, l’insouciance s’estompe et les problèmes se multiplient. Avec délicatesse, les six comédiens mettent en place l’intrigue, pas à pas. Une véritable énigme s’installe sans que personne ne la voie véritablement venir…

La parole devient violente. Le rythme s’accélère, la modernité se heurte aux fables ancestrales. Magie noire ? Sorcellerie ? Personne n’ose vraiment y croire. Comme dans un bon roman d’Agatha Christie, le spectateur se prend au jeu et cherche les indices. Mais la fumée embrume les esprits.

L’anormalité devient alors quotidienne, elle se vit dans le décor et se lit dans le jeu des acteurs, dans leurs paroles et dans leur corps. Le spectateur assiste, impuissant, à la vulnérabilité des personnages, à un combat manichéen entre le bien et le mal. On nage dans le mystique, le mystérieux. Un chaos dans lequel la langue se perd et se retrouve sans cesse. Les indices se précisent, on doute, on s’interroge… La recherche du nom devient une priorité dans cette quête de la délivrance du mal. Peu à peu, tout s’éclaircit, le voile se lève. On comprend. Ou l’on croit comprendre. Pourtant, comme souvent dans les meilleures énigmes, tout était là depuis le début… Et c’est peut être finalement ça, la magie du spectacle.

 

Apologies 4&5 par la Cie Vasistas Theatre Group au Théâtre des Bernardines

© Marylena Stafylidou

Apologies 4&5 est une charge acide sur notre système culturel. L’humanité y apparaît mutilée par l’auto-analyse perpétuelle et le poids de ses origines ; mise en procès par un surmoi qui évalue constamment ses compétences, prodiguant punitions ou récompenses et qui programme l’éradication de sa singularité au profit d’une intégration sociale : une place, un travail. L’humain est un animal domestiqué par un système imposant une codification émotionnelle, dans un monde aux mœurs aseptisées et aux règles autoritaires. Le chœur des femmes, flux de pensées et d’actions répétitives en mouvement continu, machine oppressive et célibataire, nous est donné comme la mécanique innée d’une société idéale. Ce chant des sirènes hypnotique encourage la dépendance masochiste et, lorsqu’il semble pousser l’homme à la révolte, il ne lui propose qu’une frustrante violence pulsionnelle et antisociale, un contenu viscéral irréfléchi qui achève de le paralyser d’effroi, le renvoyant à son inanité. Les comédien(ne)s sont excellent(e)s de rigueur et de puissance émotionnelle pour évoquer l’horreur psychologique dans laquelle se débat cette pauvre humanité, au sein d’une scénographie envoûtante.

 

Droite/Gauche par l’Association Wagons Libres au Théâtre La Cité

© Gus Sauzay

En proposant aux spectateurs d’assister à une ouverture de chantier de leur travail, Sandra Iché et ses collaborateurs nous permettent de découvrir leur mécanisme de création et de recherche. Afin de comprendre comment se forge un tempérament politique, Sandra Iché se penche sur sa généalogie personnelle dans l’espoir d’y voir se dessiner un processus. La présentation, aux abords universitaires grâce à la participation d’un philosophe, d’une sociologue et d’une historienne, est ardue, cherchant à définir respectivement un éthos de gauche et de droite. Parée tout de même d’atouts théâtraux, elle nous a donné hâte de voir l’objet artistique qui va naître de ces questionnements sur les déterminismes sociaux.

 

2 ou 3 choses que je sais de vous de Marion Siéfert au Théâtre du Gymnase

© Matthieu Bareyre

Marion Siéfert, dans la peau d’une extra-terrestre curieuse, avide de rencontrer des autochtones, est partie à la découverte de la guestlist de Parallèle. Les Marseillais inscrits à l’événement Facebook ayant un profil public ont vu leur vie sociale numérique sondée afin d’en extraire l’identité virtuelle, et peut-être essentielle. La recherche de l’artiste est aussi bluffante qu’inquiétante : par le seul biais du réseau social, elle arrive à des déductions troublantes sur la personnalité et les affinités de ses cibles, apprend à les connaître. Qu’est-ce que nos avatars racontent de nous ? Une sorte d’inconscient digital surgit, poétisé par le texte de la comédienne.

 

King Kong Théorie au Théâtre du Merlan

© Philippe Weissbrodt

Le King Kong Théorie de Virginie Despentes adapté par Emilie Charriot est un pur uppercut scénique. Servi par deux actrices phénoménales, Julia Perazzini et Géraldine Chollet, le « manifeste pour un nouveau féminisme » de Despentes est offert cru aux spectateurs, la simplicité magnifiant la puissance du verbe. L’amorce personnelle de la danseuse Géraldine Chollet à propos de la notion d’échec, de la difficulté à trouver l’endroit juste, du sentiment d’être « toujours légèrement à côté », « inadéquate », d’échouer à être une femme convenable, résonne grièvement avec le récit autobiographique de l’écrivaine, dans lequel elle décrit un système culturel dont la codification est oppressante et dont elle finit par se libérer. Ainsi, elle affirme que la révolte est possible, qu’assumer et produire de la différence, de la contestation et arriver à des vérités contredisant le système montre que l’on peut vivre à côté et en réaction.

 

Higher de Michele Rizzo au Théâtre du Merlan

© Alwin Poiana

A travers la danse, Michele Rizzo transpose l’univers de la sous-culture techno club sur une scène de théâtre. Ascension frontale, solennelle, solitaire, la musique sourde de boîte de nuit et l’intensité des lumières confèrent une atmosphère dramatique à la montée en puissance et en BPM.

 

Barbara Chossis, Olivier Puech et Camille Astruc

 

Le Festival Parallèle était présenté du 24 au 29 janvier à Marseille.
Rens. www.festivalparallele.com / 04 91 11 19 33