Marie Neuser

Portrait | Marie Neuser

Désir noir

 

Après le drame familial et le thriller psychologique, Marie Neuser poursuit son exploration du roman noir, qu’elle aborde sous le prisme du récit sociologique dans Prendre Gloria, second volet de son diptyque Prendre femme.

 

En pleine promo de son quatrième roman, Marie Neuser nous reçoit dans son appartement niché à quelques encablures de la Plaine, dans le quartier des Réformés. La romancière, enseignante d’italien au lycée Victor Hugo dans le troisième arrondissement, reprend ses marques après une semaine qui l’a vue multiplier les allers-retours entre Marseille, Lille et Paris — de rencontre du polar en festival littéraire, en passant par le grand raout du Salon du Livre. Débordante d’énergie, volubile, les yeux vifs soulignés par une frange courte, elle avale un café, le énième d’une journée au taquet, mais somme toute ordinaire pour cette quarantenaire, mère d’un garçon de onze ans.
Marie Neuser appartient à une nouvelle génération d’écrivains marseillais qui refusent de faire de la cité phocéenne, pastis et pagnolades compris, la toile de fond de leurs récits, de peur que son emprise se révèle tentaculaire. Prendre Gloria et Prendre Lily (sorti en 2015) sont les deux tomes d’un diptyque retraçant la traque d’un tueur fétichiste des cheveux qui a réussi à échapper aux mailles de la justice italienne pendant dix-sept ans. Un sujet inspiré de l’affaire Restivo, qui s’est imposé comme une évidence tant elle sortait des sentiers battus : « J’ai eu un espèce d’appétit qui a commencé à me titiller parce que je me suis dit, dans cette histoire, tout est hors norme : le tueur, le lieu du crime, le corps, les cheveux, le fait de couper les cheveux, de les mettre dans les mains des victimes. Et un peu gothique aussi. Avec la présence de l’église, tu reviens un peu au Moine de Lewis », avance-t-elle.
Il faut dire que ce conte macabre fait corps avec les obsessions de la jeune femme, qui avoue une passion dévorante pour les faits-divers, en particulier les plus tordus et les plus bizarroïdes. Un penchant peu commun qui lui vient de ses vacances passées dans une petite ville de Toscane dans les années 80, alors que sévissait le fameux Monstre de Florence, le tueur sanguinaire qui a inspiré Thomas Harris pour le personnage d’Hannibal Lecter… De quoi marquer l’imaginaire de la jeune adolescente qu’elle était.
Prendre Gloria de Marie NeuserSi Prendre Lily est un thriller psychologique qui tient le lecteur sur le fil pendant cinq-cents pages, Prendre Gloria relate la naissance d’un monstre et la manière dont la société a contribué à le créer. Les whodunit donc, très peu pour elle : « J’ai horreur des romans à énigme, ce qui m’intéresse, c’est le pourquoi et le comment du passage à l’acte, “qui”, je m’en fous. » Elle s’est beaucoup interrogée sur la manière d’appréhender cette saga policière avant de finalement « laisser parler sa plume d’écrivain et de la glisser dans toutes les zones d’ombre pour y mettre de la lumière… Pour moi, le roman noir c’est ça : la vie, la mort, le passage à l’acte, les motivations humaines », évoquant De sang froid de Truman Capote, qui figure parmi ses livres de chevet.
L’écriture a bien évidemment toujours fait partie de Marie Neuser, mais elle a dû ronger son frein avant d’être publiée. La reconnaissance est venue tard, en 2011, avec la sortie chez l’Ecailler de Je tue les enfants français dans les jardins (Prix des lycéens 2014). A la lecture du manuscrit, Patrick Coulomb, éditeur et journaliste du cru, prend « une claquasse » et la signe immédiatement pour deux romans. Le suivant, Un petit jouet mécanique, paraît en 2012. A quarante ans et des poussières, enfin, après tant d’années passées à le caresser, son rêve de gosse devient réalité. Elle qui avait failli tout lâcher après une nouvelle désillusion avec un grand éditeur parisien a tenu bon ; la persévérance a payé. Lorsque l’Ecailler fait faillite, elle n’a aucun mal à retomber sur ses pieds. Fleuve Noir, dont le catalogue s’enorgueillit de nombreuses pointures, se met sur les rangs : « Une belle aventure qui s’arrêtera un jour parce que je ne suis pas de ces auteurs qui pondent un bouquin par an », reconnaît-elle.
De fait, elle se retrouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Son cinquième roman est en cours d’écriture, elle y racontera une histoire d’amour effroyable et glaçante, à la manière d’une Lionel Shriver dans Il faut qu’on parle de Kevin, dont la noirceur l’a totalement bluffée. Mais le temps manque. Cette année, son emploi du temps ne lui permet pas de filer au café aussi souvent qu’elle le voudrait, pour écrire. Le Dernier Métro, boulevard Chave, est l’un de ses lieux de prédilection. Une habitude qui remonte à loin : « J’ai fait toutes mes études au café » lance-t-elle, amusée. Reste qu’elle se pose des questions, regrette presque de ne pas avoir « le réflexe de l’écrivain » qui s’installe à sa table de travail à heures fixes. Et explique : « Je dis toujours que je ne suis pas écrivain, je suis auteure de quatre bouquins, en espérant être l’auteure d’un cinquième, d’un sixième, d’un septième et d’un huitième… » Son agent, son éditeur et ses lecteurs, de plus en plus nombreux, n’attendent que ça.

Emma Zucchi

 

Dans les bacs : Prendre Gloria (éd. Fleuve Noir)

Rens. : http://www.fleuve-editions.fr/livres-romans/livres/thriller-policier/prendre-lily-3/