Aline

Portrait : Aline

These charming men

 

« Nul n’est prophète en son pays », pourrait chanter Aline. Chouchous de la presse spécialisée, reconnus dans le reste de l’Hexagone, idolâtrés en Amérique du Sud (!), les lauréats du concours CQFD des Inrocks en 2010 et du FAIR (Fonds d’action et d’initiative rock) cette année tardent à se faire une place sous le soleil marseillais. Alors que l’Internationale pop attend fébrilement la sortie, en début d’année prochaine, du premier album de nos quatre garçons dans le vent, la cité phocéenne ignore encore ceux qui auraient pourtant porté avec style le costume d’ambassadeurs de la Capitale européenne de la culture. Rencontre avec Romain Guerret et Arnaud Pilard, deux des piliers de la prochaine sensation pop française.

 

Vendredi 2 novembre, le Poste à Galène : la nouvelle coqueluche de la presse indé, Lescop, fête son anniversaire dans une salle combl(é)e. Seul bémol de cette belle soirée placée sous le signe de la pop « nouvelle vague », l’absence d’une première partie. D’autant que Marseille recèle un trésor qui aurait pourtant fait un candidat idéal : Aline, d’ailleurs dans la salle ce soir-là. Aline ? Quatre garçons plein d’avenir qui, tout comme notre Ian Curtis français, cultivent un certain amour pour la pop anglo-saxonne des années 80 tout en chantant dans leur langue maternelle. Les gazettes spécialisées ont même trouvé un nom à cette poignée de groupes qui, depuis l’aube des années 2010, revendiquent le même esprit que les « jeunes gens modernes » de l’ère post-punk (Marquis de Sade, Jacno, Daho…) : la Nouvelle Nouvelle Vague. Une génération spontanée sous (bonnes) influences (new wave, post-punk, twee pop…) et comptant dans ses rangs des formations aussi différentes que La Femme, Granville, Pendentif, Marc Desse… « C’est pris comme un mouvement parce qu’on a eu la même démarche au même moment, mais personne ne s’est concerté », commente Romain, à la tête du quatuor. Selon Arnaud, guitariste « smithien » s’il en est (en référence à Robert Smith et Johnny Marr de… The Smiths), une chose est sûre : « L’évolution de la scène pop française tire tout le monde vers le haut. » Et cette (r)évolution, Aline y est pour beaucoup.

Chercher le garçon
Un retour quelques années en arrière s’impose. Ça tombe bien, Arnaud habite à quelques rues des locaux de Ventilo. Les Cure en boucle sur le lecteur MP3 du salon, les deux Marseillais d’adoption entreprennent de raconter leur belle aventure. Laquelle, on en est sûrs, devrait les mener très haut. Pourtant, c’est désabusé que Romain donne naissance, en 2009, à ce qui deviendra Aline. Depuis quelques années déjà aux commandes de Dondolo — projet de synth-pop bricolée qui n’a pas dépassé le succès d’estime malgré deux albums prometteurs — il décide de créer un side project, « sans grandes ambitions, juste histoire de (me) changer les idées, d’évacuer certaines choses et de reprendre du plaisir à faire de la musique. » Ce fantasme d’indie pop « très épurée, sans artifices » a pour nom Young Michelin — comme un symbole de l’alliance entre la pop britannique qui a bercé son adolescence et cette langue française qu’il considère comme « normale ». Romain s’invente aussi une biographie, dans laquelle on apprend que sa ville d’origine s’appelle Aline (« Il y a deux villes qui s’appellent comme ça aux Etats-Unis, mais pas en France. Mais c’est un nom crédible, non ? »), et balance cinq titres sur Myspace. Incognito : « J’avançais masqué, personne ne savait d’où ça venait. C’était marrant d’avoir les réactions des gens qui ne savaient pas que c’était moi. » Les retours s’avèrent plus que positifs ; la sphère indé cherche à savoir qui se cache derrière ces imparables bombinettes pop, à la fois mélancoliques et entraînantes. Le bouche-à-oreille ne fait que grandir, allant même jusqu’à atteindre l’Indonésie et le Pérou. L’Amérique du Sud, là où se trouve l’une des plus importantes communautés de fans de Morissey, influence affichée d’Aline : un signe ? Devant l’engouement suscité par cette première démo, Romain décide de rappeler ceux qui l’avaient rejoint au sein de Dondolo : Arnaud, mais aussi Romain Leiris (basse), Vincent Pedretti (batterie) et Laurent Maudoux (claviers, parti depuis pour raisons personnelles et remplacé sur scène par Jérémy Monteiro). Il leur explique les règles, aux allures de « dogme », qu’il s’est fixé : ne pas utiliser plus de cinq instruments, faire les prises de voix en une fois… Les copains ne peuvent qu’acquiescer : « C’est le son d’Aline. Il a trouvé la recette sur les quatre premiers morceaux. Ça marche, donc on garde les ingrédients ! » Voilà une cantine où l’on aimerait manger tous les jours.

Pardon my french
Et nous ne sommes pas les seuls. Très vite, des labels des quatre coins du monde s’entichent du groupe, qui enchaîne les singles aux Etats-Unis (Holiday Records, Cloudberry Records), avant de sortir quatre titres en vinyle chez La Bulle Sonore. Les médias spécialisés ne sont pas en reste : Magic, Les Inrocks ou encore Technikart donnent régulièrement des nouvelles de Young Michelin dans leurs colonnes. En septembre 2010, le groupe remporte le concours CQFD des Inrocks. « On n’y croyait pas, confesse Arnaud. On l’avait fait par principe, parce qu’il fallait le faire. Mais on s’en foutait, on ne suivait pas l’évolution des choses. Et un jour, on s’est dit : “Merde, on est en demi-finale !” » La surprise est de taille : avec La Femme, les Young Michelin sont parmi les premiers « indés » à chanter en français ; et s’ils espéraient toucher la sphère indie malgré cet audacieux parti pris, jamais ils n’auraient imaginé connaître le succès dans leur propre pays. « Finalement, c’est sans doute ça qui a plu, interpellé les gens… Ça ne sert à rien de faire un décalque des Smiths dans les années 2000. Il faut une plus-value, quelque chose de neuf, une singularité. Le chant en français amène une autre dimension. J’ai l’impression que les groupes français qui chantent en anglais fantasment leurs paroles. Ils vont parler des grandes plaines d’Arizona alors qu’ils habitent à Nevers ! J’aimerais qu’ils racontent ce qu’ils vivent là-bas, ce qu’ils connaissent, ce qu’ils ressentent. L’Americana en anglais par des Français, je m’en tape, ça n’a aucun intérêt. » A vrai dire, nos amis évoluent dans un registre où l’intérêt des paroles est tout relatif. Les amateurs du genre vous le diront : à quelques exceptions près, les chansons pop se révèlent souvent d’une extraordinaire mièvrerie, à commencer par celles des Beatles. La pop est d’abord une affaire de musique, mieux, de musicalité : si la mélodie est imparable, on se moquera de la répétition du mot « love » 48 fois dans le même morceau. « D’ailleurs, reprend Romain, quand je fais une chanson, je commence par composer la musique. Après seulement viennent les paroles. Mais par contre, il faut qu’il y ait du sens, ne pas raconter n’importe quoi. » Comme pour la musique, lesdites paroles répondent à des critères bien précis : « des textes épurés au maximum, sans fioritures ni figures de style, sans utiliser la langue française de manière trop académique. Faire quelque chose qui coule et qui sonne, surtout. Il faut que ce soit simple, direct, que ça raconte quelque chose sur la personne qui chante. Tous les morceaux racontent quelque chose de ma vie. En même temps, chacun peut se le réapproprier. Les ruptures, la frustration, les passages à vide, c’est universel. » En témoigne Je bois et puis je danse, ou les déboires d’un garçon qui oublie dans l’alcool que l’objet de sa convoitise a filé avec un autre.

Aline, sans se dégonfler
Sincérité et universalité : la formule gagnante pour Young Michelin qui, sitôt le concours CQFD en poche, s’envole pour New York enregistrer sept titres avec Andy Chase (Smashing Pumpkins, Tahiti 80, Divine Comedy…). Quelques mémorables concerts plus tard — dont une première partie pour l’un de ses groupes cultes, The Wake —, la petite bande entre en contact avec la productrice Anne Claverie (ancienne manageuse de Daho), Jean-Louis Piérot (fondateur du duo aixois Les Valentins, impliqué dans certains albums de Daho, Miossec ou Bashung) et Jérôme Pierdet, dont il suffit de préciser que la société de prod’ s’appelle Smith en Face. Ensemble, ils vont produire « à échelle familiale mais avec beaucoup de professionnalisme » le premier album du groupe, rebaptisé du nom de sa « ville natale » après avoir été menacé de poursuites par le géant du pneumatique. Sans doute un simple incident de parcours sur la route qui mènera Aline jusqu’aux sommets de l’Internationale pop. Un certain spleen romantique en bandoulière, Regarde le ciel joue avec les contrastes et nous invite à voyager dans le temps, à traverser les climats, du « ciel d’hiver » à un éblouissant soleil estival. Les paroles douces-amères répondent sans cesse au tempo enlevé des compositions, créant un décalage auquel Romain et Arnaud semblent très attachés : « Il y a de la mélancolie, mais aussi de l’espoir ! » Et si les textes s’avèrent majoritairement empreints d’une (nouvelle) vague tristesse, on écoute en effet Aline avec le sourire aux lèvres et une irrépressible envie de danser et de chanter. Les plus nostalgiques d’entre nous se rappelleront les temps bénis où les Smiths squattaient leurs platines. « Ce n’est pas une volonté de notre part de sonner comme les Cure ou les Smiths. On cherche plus une pureté classique indémodable, faire des morceaux de trois minutes trente qui vont fonctionner immédiatement, que l’on pourra écouter dans quarante ans ou qu’on aurait pu écouter quarante ans en arrière. Mais quand on cherche à faire simple, on tombe vite dans des archétypes. Et nos influences transpirent, on ne peut pas faire autrement… » Difficile en effet de ne pas entendre la sainte alliance Marr/Morissey dans les ritournelles entêtantes d’Aline. De ne pas reconnaître la guitare de Robert Smith dans les arpèges d’Arnaud. De ne pas penser à la twee pop (« pop mignonne » en VF), ce genre qui fit les belles heures du label Sarah Records à l’aube des années 90, à l’écoute du touchant hommage de Romain à ses filles, Deux hirondelles. Mais peu importe l’intemporalité recherchée, les tubes s’enchaînent sur cet album en forme de madeleine de Proust, de l’instrumental sentimental Les Copains au petit bijou qui lui donne son nom.
Dans une interview accordée à Technikart, l’ami Lescop disait en substance qu’un morceau pop n’allait pas sans évoquer instantanément des images. « Il faut que les chansons appellent des images, induisent des souvenirs, produisent des ambiances, des couleurs… », acquiesce Romain. C’est exactement l’effet que procure ce premier album d’Aline, que l’on quitte avec une seule envie : regarder le ciel et y découvrir, au-dessus des arbres, un avenir radieux.

Cynthia Cucchi

 

Aline en concert avec Revolver : le 28/11 à l’Espace Julien (39 cours Julien, 6e).
Rens. 04 91 24 34 10 / www.espace-julien.com

Dernière minute : le groupe rejoint la programmation du MXDX (Midi Festival d’Hiver) le 8/12 à l’Opéra de Toulon, en remplacement de Kindness ! Rens. http://midi-festival.com/

Regarde le ciel (Accelera Son/Idol/Pias) : sortie le 7/01/2013

Pour en savoir plus : http://alinemusique.wordpress.com