No One is Fantomas de Pierre Bendine-Boucar

Pierre Bendine-Boucar – No One is Fantomas au CAC d’Istres

Les couleurs du spectre

 

Le Centre d’art contemporain d’Istres nous propose un parcours à travers l’existence de Fantômas. De ses jeux d’enfant à l’autel érigé à sa mémoire, Pierre Bendine-Boucar déploie une fiction en quatre épisodes qui relève sûrement plus du plaisir du jeu que d’une fascination pour les affres du mal.

 

Figure adulée des surréalistes, Fantômas, en précurseur des docteur Mabuse et autres personnages de cet acabit, demeure, cent ans après la parution du livre de Pierre Souvestre et Marcel Allain en 1910, et du film de Louis Feuillade en 1913, un personnage auquel l’art se réfère encore. Pierre Bendine-Boucar s’inscrit dans la longue tradition des peintres qui ont utilisé la figure et le mythe de Fantômas comme motif, après Magritte, Juan Gris, Yves Klein et, plus récemment, Jonathan Meese.
Au-delà du fantasme et de l’intérêt psychanalytique du personnage, celui-ci constitue un sujet dont la plasticité ne pouvait qu’interpeller les artistes. Changeant de visage au gré de ses méfaits, il modifie son image comme on modèle un bloc de glaise pour lui redonner forme. C’est, du point de vue de la forme et de celui du fond, un sujet plus que propice à la production d’inquiétantes images, d’étranges évocations dans desquelles celui qui est en cause se dérobe à chaque fois, telles ces cartes de visite rédigées à l’encre sympathique que Fantômas laissait sur les lieux de ses crimes et dont le sens ne s’y révélait que graduellement. Le portrait de Fantômas est une entreprise impossible, un problème plastique en soi. Parce qu’il est masqué et parce que ses multiples personnalités sont insaisissables… Fantômas est un concept qui ne peut souffrir de l’image, ou il faudrait que la peinture soit magique, changeante comme celle du portrait de Dorian Gray…
L’exposition No one is Fantomas joue donc sur cette ambivalence d’une présence et d’une absence qui évoque plus qu’elle ne représente l’homme à la tête verte, ou bleue, c’est selon. Pierre Bendine-Boucar s’intéresse-t-il davantage à la puissance du mythe qu’au personnage lui-même ? A l’entrée de l’exposition, une salle dite « chromatique » interroge les multiples perceptions que chacun garde du visage, de la silhouette de Fantômas, de la couleur de sa cagoule. Trois vidéos, toutes bouches dehors, prononcent le nom des couleurs qu’elles associent au personnage. Une étude de couleurs sur des cercles en dégradés de bleu, de vert, de gris reconstitue le nuancier géant du personnage, décliné sur cent disques. On comprend alors que, pour Pierre Bendine-Boucar, Fantômas n’est qu’un prétexte à la peinture, comme le joueur de fifre l’était pour Edouard Manet… Exploration de zones colorées, concordances des couleurs et jeux visuels, l’installation rappelle les Spot Paintings de Damien Hirst, qui renferment la même exaltation de la couleur, et ces mots de l’artiste : « It was just a way of pinning down the joy of colour. » A la différence qu’ici, il s’agit de la main d’un peintre dont le geste et la touche ne s’estompent pas à la faveur du monochrome.
La peinture, qui serait comme le fil conducteur de l’exposition, en est finalement peut-être le vrai sujet. Celle de Pierre Bendine-Boucar est rapide et frénétique, elle cumule ou mélange des manières et des savoir-faire, technique du pochoir, bombe aérographe, adhésif et collage, empreintes et gestes répétitifs et monotypes, une approche à fois gestuelle et sérielle du médium. Ses Wall Paintings trahissent toute la ferveur de l’artiste qui ne cache pas son enthousiasme à manipuler, à tracer, à peindre… No one is Fantomas est une exposition rigoureusement joyeuse, où le plaisir de faire est palpable pour le spectateur. Le goût et la duplicité du jeu aussi. Si le mythe de Fantômas s’apparente davantage au monde des ténèbres et du crime, Pierre Bendine-Boucar le dépeint avec une candeur juvénile et l’âme d’un bricoleur. Il campe l’univers maléfique de Fantômas avec la jolie maladresse des kidnappeurs des frères Coen, charcutant le cadavre de l’otage qu’ils ne voulaient même pas tuer. Le bricolage de Pierre Bendine-Boucar trahit ses bonnes intensions, cagoules fabriquées avec des bouts de ficelle, peintes dans des gammes de couleurs qui rappellent davantage les jeux de l’enfance que celles des fleurs du mal. Il ne semble pas en proie à de terribles souffrances morales, mais plutôt attiré vers des êtres solaires, dont il fait partie, comme en témoignent les fleurs joyeuses qui peuplent ses peintures quand Fantômas se fait oublier.

Céline Ghisleri

 

Pierre Bendine-Boucar – No One is Fantomas : jusqu’au 17/07 au CAC d’Istres (2, rue Alphonse-Daudet).
Rens. : 04 42 55 17 10 / www.ouestprovence.fr/index.php?id=950

Et aussi jusqu’au 27/05 à la Médiathèque de Fos-sur-Mer (40, rue des Nénuphars).
Rens. : 04 42 11 32 15

Pour en (sa)voir plus : www.pierrebendineboucar.com