© Matthieu Parent

Matthieu Parent – Marseille-Odessa Regard(s) croisé(s), avec Alexandre Sinelnikov, à la BMVR Alcazar

Ports parallèles

 

« En trente-six heures de bus, on est à Odessa… d’ici, ça paraît être l’autre bout du monde. » On n’a pas été vérifier les informations que Matthieu Parent nous confie devant les clichés de l’exposition Regard(s) croisé(s) présentée à l’Alcazar. Entre photographie sociale et tableau photographique, l’artiste est allé chercher en profondeur l’essence de ce port de la mer Noire.

 

Matthieu Parent devait partir à Odessa, en Ukraine, en mai 2014. Mais le voyage a dû être reporté lorsque le 2 mai, quarante pro-Russes ont péri dans l’incendie de la Maison des Syndicats (dans l’ignorance des médias occidentaux). « Je ne suis pas photojournaliste », confie le photographe de trente-quatre ans. L’idée de ce projet était autre et l’immédiateté du conflit l’aurait aliéné. Il y part quelques semaines plus tard, armé d’une chambre photographique et reflex numérique, alors que la ville a repris son souffle.
« La ville est lumineuse et pleine de contrastes, c’est ce que je voulais capter. » Très vite, l’imposante chambre devient ingérable. Matthieu se dote d’un Lomo, plus pratique à transporter. « Même si c’est un appareil amateur, j’apprécie son rendu feutré. » Feutré, comme les intérieurs des Odessites qu’il rencontre. « J’ai glané des contacts à droite et à gauche. Arrivé à Odessa, j’avais un carnet d’adresse. Après un temps, les gens mis au courant de ma démarche m’appelaient ! » Résultat : des noirs et blancs contrastés pris à la chambre. « En temps de conflit, la famille, c’est un peu le seul lien rassurant et de cohésion. Je voulais figer la fraternité. » Le contraste est lourd avec ce cliché où l’on voit Poutine dans une vieille télévision posée au fond d’un vaste salon rose bonbon.
Photographe autodidacte passé entre les mains de Jan Evelyn Atwood durant un été à l’International Center of Photography de New York, Matthieu prend son temps avant de saisir l’instant. Il met d’ailleurs une année d’allers-retours entre Marseille et Odessa pour produire ses clichés. Tous possèdent des détails oniriques, anecdotiques, kitsch ou carrément drôles, ce qui fait de cette exposition un portrait d’une ville bigarrée proche des univers de Raymond Depardon et de Martin Parr.
Dans l’exposition Regard(s) Croisé(s), Matthieu Parent fait face à Alexandre Sinelnikov, photographe ukrainien venu passer Marseille au scanner pendant une résidence de trois semaines à la Gare Franche. Tandis que le Français s’incruste dans les profondeurs de la ville, l’Ukrainien propose un portrait lissé de Marseille et de ses habitants, entre prise de vue classique et photographies de rue.
L’exposition confronte aussi les deux villes portuaires, construites par les Grecs à la même époque. Ainsi, la ville de Marseille et le Musée d’Histoire régional d’Odessa ont dégoté dans leurs archives des prises de vue permettant la confrontation visuelles des architectures néoclassiques et des coutumes installées dans les deux villes, jumelées depuis quarante ans.

Sandrine Lana

 

Marseille-Odessa Regard(s) croisé(s), avec Alexandre Sinelnikov : jusqu’au 14/03 à la BMVR Alcazar (58 cours Belsunce, 1er).
Rens : 04 91 55 90 00 / www.bmvr.marseille.fr

Pour en (sa)voir plus : www.matthieuparent.fr