Tambour Battant

Marsatac 2014

L’interview
Dro Kilndjian (Marsatac)

 

L’eau a coulé sous les ponts depuis une première édition exclusivement axée sur la scène rap locale. L’eau a coulé et le festival s’est littéralement transformé pour devenir le gros rassemblement des musiques électro/rap/rock que tout le monde connaît. Alors plutôt que de commenter une programmation — de plus en plus électro — qui parle finalement d’elle-même, nous avons préféré faire le point sur un parcours atypique avec l’un de ses principaux instigateurs.

 

Peut-on voir dans la soirée au Palais de la Bourse une volonté de décentraliser le festival à travers des événements épars de plus petite taille ?
On a déjà composé l’année dernière un parcours dans la ville. Après, si l’on arrive dans le futur à être un peu plus présent ailleurs que sur le lieu principal, on en sera heureux.

 

L’installation à la Friche est-elle transitoire ?
Pour l’instant, on ne sait pas. On s’est longtemps battu pour avoir un site. Mais le contexte étant ce qu’il est, on a décidé il y a quelques années d’intégrer le nomadisme au festival. Pour l’instant, on a de bons rapports avec la Friche, qui pourrait devenir un des lieux du festival dans notre volonté de l’éclater en ville. Mais nous réfléchissons d’une année sur l’autre, par manque de visibilité. Bien que ces esthétiques musicales semblent aujourd’hui mieux considérées par certains qu’à une époque.

 

L’idée de la plage du Prado est-elle abandonnée ?
Non, c’est un peu le serpent de mer, ça va ça vient. Les idées sont là, les envies aussi. D’autres lieux aussi, d’autres éventuelles pistes comme le Port Autonome… Mais il n’y a pas d’information particulière à ce jour.

 

En 2009, tu disais ne plus vouloir revenir au Dock des Suds, comment avez-vous vécu le retour de l’an dernier ?
D’abord, nous n’avons pas eu d’autre choix, puis nos rapports avec le Dock se sont améliorés, l’acoustique du lieu aussi. Des efforts ont été faits de leur part à tous les niveaux. Il fallait que chacun mette de l’eau dans son vin et on l’a fait.

 

L’idée du J4 est-elle définitivement abandonnée ?
Dans la forme que l’on veut donner au festival, ce n’est pas possible. On pourrait envisager d’y mettre une scène, mais elle ne serait que périphérique au reste de l’événement.

 

La forme actuelle du festival correspond-elle pleinement à vos attentes ?
Nous n’avions pas d’objectifs particuliers sur la taille. Aujourd’hui, avec les conditions qui nous sont données, il est dans sa forme optimum. Mais l’on pense qu’il a encore un énorme potentiel.

 

Des pistes ?
Comme je le disais : plus de surfaces, de visibilité en ville, des opérations plus petites et multiplier le nombre de soirées. Ouvrir à d’autres esthétiques au sein du festival, comme une scène dub…

 

N’est-ce pas aussi une façon de coller à un certain fonctionnement qui s’est pas mal développé en centre ?
Peut-être que ça correspond à un réseau, de nouvelles pratiques. Mais oui, globalement j’ai l’impression que le centre-ville s’est un peu vivifié depuis quelques années.

 

Pourquoi une aporie progressive du hip-hop au sein de la programmation ?
Ça correspondait à une réalité. Marseille était très vivace au début de Marsatac autour du hip-hop, et il n’y avait pas à ce moment-là d’événement du genre, excepté, un temps, Logic Hip-Hop organisé par l’AMI, mais ça avait déjà disparu lorsqu’on est arrivé. Un peu naïvement, on voulait travailler dans le milieu musical, et on a croisé des gens de cette scène-là… Si ce festival existe aujourd’hui, c’est grâce à ces artistes-là. Le hip-hop existe toujours ici. Après, je trouve qu’il n’y a pas vraiment de nouveauté ou d’enjeu réel fort dans ce domaine-là. Beaucoup d’artistes hip-hop, ou des courants apparentés, ont encore plein de choses à dire mais le hip-hop français s’est aussi peut-être un peu perdu en route.

 

Quel est ton point de vue sur la scène marseillaise actuelle ?
Je la trouve particulièrement vivace ces dernières années. Notamment la scène électro-pop, avec sa mentalité, fonctionnant pas mal sur l’entraide. De plus en plus d’opérateurs organisent des soirées à Marseille. Tout est lié. On peut prendre l’exemple de Rennes avec le rock : pour qu’une scène soit vivace dans une ville, il faut un environnement politique et institutionnel favorable, des labels, de l’événementiel, des gens qui savent faire du disque… Des artistes parviennent à émerger d’environnements plus compliqués, mais difficilement.

 

Que manque-t-il selon toi au paysage marseillais ?
Sûrement des salles qui accompagnent les artistes. Certaines existent, mais il manque un élément d’accompagnement. Les artistes sont un peu en difficulté ici : ils ne savent pas trop où répéter, où jouer en premier. Est-ce les institutions qui ne sont pas présentes ? Est-ce à cause des salles ? Avons-nous un rôle à jouer ? Mais nous, nous sommes en bout de chaîne : on apparaît, on disparaît, une fois par an… L’accompagnement ce n’est pas le même métier. L’énergie existe. Après, pourquoi ça ne décolle pas mieux ? Il faudrait que ça prenne une ampleur différente. Il manque peut-être un peu d’ambition, mais pas de la part des musiciens, qui font souvent tout eux-mêmes. Il faut souvent développer plus d’énergie ici qu’ailleurs.

 

Pouvait-on voir dans le volet nîmois de l’an passé une menace de départ dirigée envers la Mairie, qui ne fait rien pour vous implanter dans le territoire ?
Non, ce n’était pas du tout la volonté de base. Marsatac restera à Marseille, il le porte dans son nom. Et notre rapport avec la municipalité s’est apaisé à partir de la septième édition environ. La compréhension est autre aujourd’hui. Puis récemment. Avec 2013 au milieu. D’ailleurs, ce qui a changé avec 2013, c’est que la culture est devenue un sujet. Quoi qu’on en dise, et je ne saurais pas en tirer le bilan global, le sujet est au moins sur le tapis. Alors que l’on pouvait entendre avant, de la part de politiques notamment, que la culture n’intéresse personne à Marseille et qu’il n’y a pas de public ça. En ce qui nous concerne, la moitié de notre public est marseillais, l’autre ne l’est pas. 50 % de Marseillais, 30 % de la grande région, et le reste du national ou de l’international. On est dans un rapport assez équilibré. Quant aux tranches d’âges… L’âge moyen est fixé à 25 ans. Notre cœur de cible se situe entre 18 et 30 ans. Et le public se renouvelle de moitié tous les deux ans. En quatre ans, on le renouvelle dans sa quasi-totalité. Un public massivement étudiant. J’aime le conserver. D’ailleurs, je n’aimerais pas vieillir avec mes festivaliers.

 

Propos recueillis par Jordan Saïsset

 

Marsatac : du 19 au 27/09 à Marseille. Rens. www.marsatac.com