Mara Furtanović – Plénitude de vie et autres paradoxes à la Galerie Gourvennec Ogor

Mara Fortunatović – Plénitude du vide et autres paradoxes à la Galerie Gourvennec Ogor

Mara Furtanović – Plénitude de vie et autres paradoxes à la Galerie Gourvennec Ogor

Conquête spatiale

 

La première exposition personnelle de Mara Fortunatović invite le spectateur à parcourir le dédale de modules blancs installés dans la galerie Didier Gourvennec Ogor. Des formes simples dont l’ambiguïté se révèle au fur et à mesure que l’on circule dans l’espace, des œuvres qui jouent de la distance, et des points de vue qui varient au gré des déplacements du visiteur.

 

Emprunté à la philosophie taoïste, le titre de l’exposition, Plénitude du vide et autres paradoxes, préfigure les enjeux du formel et du spatial qui se déploient dans les pièces de Mara Fortunatović. Les cimaises de la galerie et les œuvres de cette jeune artiste s’unissent et s’accordent sur une seule note de blanc, immaculé. Dans une même teinte et dans une même lumière se dévoile un espace presque irréel où les matières sont tues par la peinture, et dans lequel il va falloir guetter de subtiles variations qui révèleront la physicalité des choses réelles… Avant d’entrer dans l’intimité de chacune des œuvres de l’exposition, c’est d’abord leur appartenance au lieu qui frappe le visiteur, et la question de l’artification du white cube.
Les sculptures-peintures de Mara Fortunatović interrogent la question de l’œuvre in situ, de sa préexistence au lieu d’exposition, de son adaptabilité à chaque nouvel espace, contrastant avec l’incapacité du white cube à changer. Ses œuvres jouent avec l’espace physique dans lequel elles sont installées, comme elles jouent avec les conventions d’un accrochage classique, modifiant ses coutumes admises. Suspension légère, fine planche courbée qui semble sortir du mur, bloc cubique aux perspectives ambiguës qui embrasse l’angle d’un mur… les pièces de Mara Fortunatović semblent à la fois appartenir à cet espace et vouloir s’en dégager, glissant vers l’extérieur pour conquérir un nouveau territoire, voire une nouvelle dimension. Elles perpétuent ainsi l’analyse de Brian O’Doherty sur le rapport entre les œuvres d’art, le white cube et ses murs. « Nous entrons dans l’ère où les œuvres d’art considèrent le mur comme un no man’s land sur lequel projeter leur interprétation de l’impératif territorial. » Le mur blanc, dont le critique d’art Brian O’Doherty déplorait l’ingérence et définissait comme un protagoniste plutôt que comme un support passif de l’art, accède presque, ici, au statut de puissance esthétique, et gagne lui-même un contenu alors qu’il n’était que surface à remplir. Objet de bien des controverses, il gagne ses galons d’œuvre d’art grâce aux rapports qu’il entretient avec les pièces de Mara Fortunatović. Elles s’y collent, elles en glissent, elles le prolongent, elles s’en décollent, elles l’étalent. Elles entretiennent avec lui, mais également avec le sol et le plafond, un dialogue physique, dicté par les lois de la pesanteur, un rapport matériel et presque charnel…
Ces pièces sont en recherche de nouveaux territoires hybrides, entre peinture, sculpture et installation, dessins et collages, des « objets spécifiques », selon la formule consacrée de Donald Judd pour décrire les œuvres de Franck Stella, ancrés dans les concepts du minimalisme et ayant pour seul objet de révéler l’espace environnant. Les œuvres planes de Mara Fortunatović, sous cadre, accrochées au mur, sont comme des mises en abyme de perspectives contradictoires dans lesquels les jeux visuels s’inversent au gré des lumières et des reflets, des superpositions et des transparences. Jouant des volumes et des plats, des creux et des pleins, elles aiment à brouiller les pistes de la 2D et de la 3D, entre feuille de papier et planche de bois, interrogeant les matériaux dans leur plasticité, dans leur matité ou dans leur transparence, dans leur résistance au geste du sculpteur. Elles s’engagent dans une négociation ardue entre les composants de la matière et la forme, camouflant ou révélant l’espace réel et l’espace fantasmé insoumis aux lois de la lumière, des ombres et de la gravité. Régi par les principes de la géométrie, ce travail peut sembler froid, mais plonge pourtant le regardeur dans un rapport physique et sensuel à l’espace et à la lumière.

Céline Ghisleri

 

Mara Fortunatović – Plénitude du vide et autres paradoxes : jusqu’au 2/05 à la Galerie Gourvennec Ogor (7-9 rue Duverger, 2e).
Rens. : 09 81 45 23 80 / 06 68 11 48 06 / www.galeriego.com