Sandrine Bonnaire dans L'odeur des planches © Jean-Louis Fernandez

L’Odeur des planches de Samira Sedira

Ils sont venus pour elle, l’engagée Bonnaire, la douce Sandrine qui a amadoué Pialat et rendu crédible Johnny en amoureux dans Salaud, on t’aime de Lelouch. En sortant de son dernier spectacle, L’Odeur des planches, les spectateurs repartent avec la certitude que Sandrine Bonnaire est une immense comédienne, qui possède l’humilité des vrais grands à l’instar d’un Mastroianni. Seule en scène, elle réalise une brillante performance d’actrice, offrant toute sa rage et sa simplicité à son personnage, une comédienne privée des planches des théâtres et réduite à récurer celles des parquets d’anonymes qui la regardent avec dédain.

 

Assise au bord de la scène du Théâtre du Jeu de Paume, au plus près du public, dans sa petite robe à carreaux, Sandrine Bonnaire est désormais chez elle sur ces planches et compte bien apporter, hors des sentiers battus, sa contribution au théâtre. Effectivement, Sandrine la généreuse aime mettre d’autres talents en lumière grâce à sa notoriété. Elle accompagne ici la révélation d’une écriture, celle de Samira Sedira, l’auteur de L’Odeur des planches qui, pour la petite histoire, a fait ses études à la Faculté de Lettres d’Aix et fréquenté le Théâtre Antoine Vitez.
Directeur avisé, dénicheur de talents de la Comédie de Valence et habitué des mises en scène lyriques, le metteur en scène Richard Brunel a demandé à cette dernière de le seconder dans l’adaptation théâtrale de son roman.
L’un des intérêts de son autobiographie romancée est de jouer avec les codes et les lieux pour mieux s’effacer derrière l’universalité d’une histoire, celle de l’immigration algérienne et de l’appartenance à un milieu. Comédienne déchue devenue écrivain pour raconter sa condition de femme de ménage et son retour involontaire vers ses racines, Samira s’interroge sur le sens de la vie.
L’Odeur des planches est de ces textes dont les mots vous hantent inévitablement. Convoquant la mémoire dans la répétition familiale, elle fait émerger la mémoire collective par le biais de ses souvenirs individuels, plaçant ainsi ses mots du côté de ceux d’Annie Ernaux. Fresque sociale et politique s’échappant de l’intime sans jamais en donner une vision victimaire ni moralisatrice, elle puise dans la narration du quotidien la force de l’histoire. Le propos est tendre là où les constats sont cuisants. Samira conforte, inconsciemment, le choix de ses parents pour son prénom : celle avec qui on aime parler la nuit. Le spectateur dialoguera longtemps avec ses mots simples et percutants.
Rejetée par les gens de théâtre, Samira Sedira prend ici une belle revanche et entérine une forte amitié avec Richard Brunel, rencontré pendant leurs études. La boucle sera définitivement bouclée, à la rentrée, lorsqu’ils se retrouveront à la Comédie de Valence pour le retour sur scène de Samira dans la nouvelle création de Richard, le Roberto Zucco de Koltès avec Pio Marmaï.
Richard Brunel signe ici une mise en scène exemplaire, qui met en exergue le texte en se basant essentiellement sur l’interprétation de l’actrice. Du moins de prime abord, car en y regardant de plus près apparaît le travail d’orfèvre qui accompagne cette apparente simplicité et la subtilité de son dispositif scénique.
Dans une mise en scène panoptique, à l’instar de celle des Noces de Figaro de Mozart, opéra qu’il avait monté en 2012 pour le Festival international d’Art lyrique d’Aix, le décor est tout entier sur le plateau, composé de simples éléments représentatifs des lieux où s’est déroulée l’histoire : des fauteuils de théâtre, une table et des chaises de cuisine en formica. Pas d’artifices ni de vidéo, la mise en espace se fait par la mise en lumière. Et la temporalité de l’histoire par un travail remarquable sur le son réalisé par Michaël Selam. Très cinématographique, il emploie le son hors champ pour ne pas amenuiser la puissance du texte et utilise la musique non comme un accompagnement, une fioriture, mais comme un élément inhérent au récit.
La réussite de ce spectacle tient dans un rigoureux travail d’équipe teinté de plaisir que la complicité affichée par Sandrine Bonnaire, Samira Sedira et Richard Brunel en sortie de scène ne saurait démentir.

Maryline Laurin

 

L’Odeur des planches de Samira Sedira était présenté du 23 au 25/04 au Théâtre du Jeu de Paume (Aix-en-Provence).

Prochaine représentation : le 29/05 au Théâtre d’Arles (Boulevard Georges Clémenceau).
Rens. : 04 90 52 51 51 / www.theatre-arles.com

Texte paru aux Editions du Rouergue