Les Instants Vidéo - Défilé de Samar Elbarawy

Les Instants Vidéo

L’Interview
Marc Mercier (Instants Vidéo)

 

Encore jeune (à peine un demi-siècle l’année prochaine), l’art vidéo ne cesse de se renouveler et offre, grâce aux Instants Vidéo, une programmation toujours plus riche et pleine de talents. Rencontre avec Marc Mercier, cofondateur de cette manifestation atypique et poétique, qui souffle cette année ses vingt-cinq bougies.

Quelle définition pouvez-vous donner de l’art vidéo?
Il y a de multiples réponses. Jean-Paul Fargier disait que c’est du cinéma et de l’électricité, puisqu’à ses début, c’était avant tout un travail sur une matière, l’électron. Pour Nam June Paik, c’était faire de la peinture avec des caméras et des ordinateurs. D’autres artistes disent qu’ils travaillent les images comme s’ils travaillaient des compositions musicales. Il y a quand même une histoire sur laquelle on peut s’appuyer, tout comme des œuvres qui ont marqué les artistes. Certains critiques et historiens d’art arrivent à le définir en quelques points, dans le champ de l’art contemporain, mais c’est un peu réducteur puisque certains artistes échappent à ce champ, comme par exemple Gianni Toti. Bien sûr, on ne peut pas réduire l’art vidéo à ces quelques définitions, car il a pris des formes très variées pouvant associer d’autres disciplines artistiques. Ce qui est sûr, c’est que c’est un art en continuel renouvellement, qui joue sur le rapport surprenant entre l’image et le son.

 

Comment est né le festival ?
Le festival est né à Manosque en 1988, avant de s’installer en 2004 à Marseille. Ça a été un nouveau temps pour la manifestation puisqu’elle s’est considérablement étendue sur les territoires autour de Marseille, ainsi qu’au niveau international. La première édition n’était pourtant pas faite pour perdurer. L’idée était d’explorer un art qu’on avait découvert un peu par hasard. Pour moi, il était très nouveau. A l’époque, je faisais du théâtre et je suis rentré par hasard dans une salle d’exposition d’art vidéo. J’en suis ressorti assez troublé en me disant que le théâtre de demain était peut-être entrain de se jouer là. Ce que je ne savais pas, c’est que les œuvres exposées étaient celles de grands maîtres. J’ai eu de la chance d’être tombé sur eux. C’est de cette rencontre que tout est parti. Ce qui m’intéressait dans le théâtre, c’étaientt les formes contemporaines, les nouvelles écritures, leur manière de troubler les gens. L’art vidéo, il me semble, travaille la même chose, mais dans un angle particulier. A l’époque, on était en plein essor des nouvelles technologies qui peuvent être un moyen d’émancipation ou de contrôle selon la manière dont on les utilise, et je trouvais intéressant que des artistes travaillent avec ces moyens-là.
Dès le départ, il y a eu l’idée de rapprocher les artistes avec les poètes car les poètes travaillent la langage, à cheval entre la convention et la folie. Et pour moi, l’art vidéo se trouve à cet endroit, d’où le fait qu’on parle parfois de poésie électronique. Ce n’est pas de l’expérimental pur et dur ni du militantisme, mais toujours sur la brèche, avec une espèce de fragilité.

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à continuer après la première édition ?
On a été stimulés à la fois par le public et les artistes qu’on a rencontrés et puis cette expérience au Maroc. En 1993, on a cofondé un festival d’art vidéo là-bas, en partenariat avec l’Université des Lettres ; j’ai été vraiment impressionné par la réaction de la jeunesse. C’était essentiellement des jeunes qui venaient, contrairement à Manosque où notre public était plutôt initié. Au Maroc, on a eu un public de masse ; les salles étaient pleines. Je pense que ça tient à notre lien avec l’Université, mais je crois aussi que les Marocains ont senti très vite qu’il y avait un brèche pour exprimer des choses de leur vie, de leur intimité et du politique. C’était quelque chose de très important et nouveau, puisque l’on était encore dans un contexte dictatorial, sous Hassan II… C’est d’ailleurs durant ce festival que j’ai rencontré Mounir Fatmi, dont le travail m’a enthousiasmé. Maintenant, il est primé dans toutes les biennales !

 

Les Instants Vidéo fêtent leurs vingt-cinq ans d’existence. Avez-vous prévu quelque chose de spécial ?
Non, on ne fait rien de particulier. D’une part parce que les autocélébrations, ce n’est pas notre truc, mais aussi parce qu’en 2013, ce sont les cinquante ans de l’art vidéo lui-même. Donc c’est plutôt là-dessus que l’on fera une célébration, plus pour l’art que l’on défend que pour ses défenseurs.

 

En parlant de 2013, quel regard portez-vous sur la Capitale européenne de la culture ?
Au tout début, quand Marseille a été choisie, on était assez enthousiaste. D’une part parce que cela tombait avec ce cinquantenaire de l’art vidéo ; on s’est dit que cela permettrait peut-être au projet de prendre sa forme optimale, d’aller plus loin dans nos ambitions. Et puis lorsqu’on a rencontré les chargés de missions, il y a eu un véritable dialogue, on s’est senti soutenu, porté, le projet est d’ailleurs labellisé. Ensuite, on a déchanté… Je ne peux pas leur mettre tout sur le dos, le contexte politique et économique de la région n’est pas simple, mais cette année culturelle ne correspond plus à ce que j’espérais. C’est-à-dire une année où toutes les ambitions créatrices des acteurs marseillais auraient pu être soutenues. MP 2013 était l’occasion de mettre en avant ce foisonnement dans tous les domaines artistiques.

 

De quelles manière choisissez-vous les artistes ?
On n’impose pas de thématiques particulières, l’ essentiel étant qu’il y ait une véritable réflexion sur le langage avec pour effet d’ébranler toutes les certitudes qu’on peut avoir sur le monde et notre relation aux autres, et nos sensibilités parfois figées. On essaie d’avoir une vision objective, sur l’expérimentation, le rapport entre le contenu et la forme. Mais bien sûr, il y a un peu de subjectivité, parce que même si on a de l’expérience et qu’on essaie de choisir les meilleurs, on reste des spectateurs avec des coups de cœur et des rejets.

 

L’actualité a t-elle une incidence sur vos choix ?
Inconsciemment, certainement. Par exemple, on a eu beaucoup de travail sur les révolutions et je comprends qu’on veuille faire passer un message vu la situation. Mais même si l’on peut passer des œuvres militantes, on recherche d’abord un véritable travail sur le forme, un équilibre juste entre la forme et le contenu.
Bien sûr, on a été particulièrement touché par les révolutions du monde arabe puisque parmi les révolutionnaires, il y avait des partenaires de longue date. D’ailleurs, l’an dernier, nous avons rendu ouvertement hommage aux révolutions tout en restant à notre place. On a traité de la révolution d’un point de vue artistique et poétique, car pour nous la meilleure façon dont nous pouvions accompagner ces révolutions politiques, c’était en accompagnant des révolutions poétiques : pour penser autrement, il faut nécessairement une transformation du langage.

 

Avec l’in(ouïe)auguration sur la dette grecque, vous restez aussi dans l’actualité…
On voulait faire quelque chose sur la Grèce ; le problème était de traduire poétiquement un problème politique. C’est à Athènes que m’est venue l’idée en relisant la pièce d’Aristophane, Ploutos. Ploutos est aveugle et c’est pour ça qu’il a mal réparti les richesses. Les pauvres se disent que s’ils arrivent à lui rendre la vue, il pourrait rétablir les richesses équitablement. Ce qu’il accepte, mais la déesse de la misère lui rappelle que si tout le monde mange à sa faim, qui va se lever pour aller produire les richesses ? Cet argument est toujours d’actualité : dans tous les pays en crise, on demande de se serrer la ceinture, donc on accepte le règne de Ploutos en mettant de côté Dyonisos qui, lui, symbolise la passion, les débordements. Notre Mairie d’Outrance va permettre de rétablir un peu l’équilibre. Le maire, Jean-Pierre Eyraud, cofondateur du concept, prononcera le divorce d’avec Ploutos et en même temps le mariage avec Dyonisos. C’est une manière de montrer que l’austérité appelle l’austérité et qu’il faut reprendre nos vies en rejetant le discours de l’austérité. Plus que jamais il faut être exubérant, c’est notre façon de ne pas être indifférent à ce qu’il se passe.

 

D’où est venu le titre de cette édition 2012, « Et nous sommes magnifiques » ?
On l’a trouvé lorsque nous avons visionné la vidéo The Devil de Jean-Gabriel Périot. C’est un montage d’archive sur les Backs Panthers. La vidéo en elle-même était très intéressante car le montage était très risqué par rapport au choix des séquences et des paroles gardées. Dans cette vidéo, à un moment, un Black Panthers se décrit « cheveux crépus, lèvres charnues, etc. », avant que les gens concluent par « And We Are Beautiful »… On s’est dit que c’était le plus beau slogan révolutionnaire qui soit par rapport à « la révolution ou la mort ». Quand un peuple descend dans la rue avec ce type de pensée, je pense qu’il est invincible grâce à cette insouciance. Ça rejoint le geste artistique car les œuvres qui nous touchent le plus sont celles qui ont dépassé leur créateur. L’artiste n’est plus dans la stratégie, plus dans la raison et il se passe alors quelque chose d’incroyable.

 

Des coups de cœur pour cette édition 2012 ?
Il y en a plusieurs. Je pense d’abord à l’installation Le Défilé, d’une artiste égyptienne, Samar Elbarawy. On y voit des nuisettes suspendues au vent, et on entend une discussion entre trois jeunes filles évoquant leur rapport aux hommes, à la sexualité, au mariage, de manière extrêmement libre. C’est troublant et magnifique. Et puis la production grecque qui a choisi de tenir à distance l’actualité. C’est très intéressant d’un point de vue poétique et politique. Ceux qui s’attendent à retrouver les infos qu’ils voient à la télé vont être surpris. Le travail de ces artistes démontre leur capacité à garder un esprit créatif sans être soumis à la situation. On fait  également un focus sur la création croate, sous forme d’installations et de vidéo. On a aussi mis au point une soirée boxe. Le but étant de boxer puis ensuite, si on tient encore debout, de faire une table ronde pour voir si l’on est encore capable de produire, à l’image d’Arthur Cravan, qui était poète et boxeur. Je terminerai avec une autre soirée à laquelle je tiens beaucoup, qui se fera en présence d’un paléontologue spécialiste de l’art pariétal, Marc Azéma. Il démontre, preuve à l’appui, que le cinéma a été inventé il y a 30 000 ans. Il montre qu’il y avait un mouvement de l’image grâce à des jeux de lumières avec les torches, mais aussi avec les emplacements pertinents des dessins sur des surfaces, non pas lisses mais accidentées, qui donnent cette impression de mouvement. Il retrace l’histoire du cinéma, de l’époque paléolithique jusqu’à l’art numérique avec une interrogation : où sont les cavernes d’aujourd’hui ?

Propos recueillis par Aileen Orain

 

Les Instants Vidéo : du 6 au 17/11 à Marseille.
Rens. 04 95 04 96 24 / www.instantsvideo.com