Les 25 ans de la Galerie du Tableau

Les 25 ans de la Galerie du Tableau

Faites Plasse !

Plus de cent quarante artistes sont réunis à la Galerie Saint Laurent pour fêter comme il se doit les anniversaires de la Galerie du Tableau, de Monsieur Bernard Plasse et de la Galerie Saint Laurent elle-même, installée depuis décembre 2013 aux Puces des Arnavaux. L’occasion de revenir sur ces trois parcours qui auront marqué la petite histoire marseillaise…

 

Au risque de lui déplaire, la Galerie du Tableau est bien plus qu’une institution, c’est un symbole. Et nous le savons désormais, les symboles sont à la fois fragiles et menacés… La Galerie du Tableau représente le modèle de la galerie associative au service des artistes et du public, de la pensée et de l’art, et dont l’existence n’est pas soumise aux diktats des ventes et du marché. Mais c’est un modèle en péril : les subventionneurs tirent la sonnette d’alarme depuis quelques années déjà et somment les associations de trouver un autre moyen de subsistance. Même après vingt-cinq ans d’existence, Bernard Plasse ne sait pas toujours de quoi demain sera fait…
La Galerie du Tableau fête ses vingt-cinq ans, ses mille vernissages et les innombrables artistes qui ont bénéficié de ce petit espace à la vitrine généreuse, rue Sylvabelle. Toute la scène artistique marseillaise est passée par la galerie de Bernard Plasse, qui a réussi le tour de force d’une programmation d’une exigence exemplaire, tout en conservant une bienveillance vis-à-vis de l’artiste fébrile qui démarche, son book sous le bras. Le galeriste n’a certes pas dit oui à chaque fois, mais il a souvent permis à de jeunes artistes de se lancer dans leur première exposition personnelle, tous logés à la même enseigne : une semaine d’exposition (deux semaines depuis quelques années), un jour pour accrocher, et le cubi de vin rouge du lundi soir. Pas de transaction financière entre l’artiste et le galeriste, qui abhorre la vénalité dont l’art se revêt parfois : « L’art ne s’achète pas, il se transmet(1). (…) L’art doit être une nécessité, pas un passe-temps de banquier. » Une façon de faire ce métier que Jean-François Roux qualifie, à juste titre, de militante, gardant ses distances avec le marché de l’art, les réseaux trop contraignants et quiconque lui dicterait une façon de penser ou de faire.
Le vernissage du lundi soir, pendant ces vingt-cinq années, aura été et demeure un rendez-vous pour celui qui s’intéresse à l’art contemporain, mais il est bien plus encore… Epaulé par son ami et artiste Roberto Comini, Bernard Plasse n’aura jamais dérogé à ses principes et, à l’aube de ses quatre-vingts ans, le monsieur à la longue barbe nous réserve encore de beaux projets à Marseille et à l’étranger, comme durant tout son parcours : voilà quelques années, il déménageait sa petite galerie à New York pendant un an pour y montrer des artistes marseillais selon les mêmes règles (une expo, une semaine), il développait des partenariats avec l’Asie, le Canada… La Galerie du Tableau s’est souvent exportée, embarquant avec elle la fine fleur de la création marseillaise.
De nombreux projets encore pour Bernard Plasse, comme en témoigne son livre sorti pour le vernissage à la Galerie Saint Laurent, Mes dernières volontés : recommencer (aphorismes semi-posthumes). L’invitation faite par son vieil ami Jean-François Roux répondait à la nécessité d’un grand espace pour accueillir cette exposition anniversaire et les œuvres de ces cent quarante artistes. De l’espace, la Galerie Saint Laurent en a à revendre, puisque les expositions sont organisées dans les box inoccupés du hangar des Puces. Il fallait à Bernard Plasse de la place, mais aussi une posture particulière, et nous l’aurions mal vu fêter ses vingt-cinq ans dans un white cube institutionnel. La Galerie Saint Laurent qui, depuis deux ans, fait le pari de l’art contemporain au sein d’un quartier populaire, draine aussi un public peu confronté aux formes d’art que proposent nos artistes actuels. Chaque jour est propice à la découverte, au rejet, à la discussion, à la perplexité, à l’explication qui se meut en initiation, bref en regards qui s’ouvrent : que veut dire l’artiste et comment s’y prend-il pour créer ? Pourquoi ?… La « mission » de la Galerie Saint Laurent semble, aujourd’hui plus que jamais, bien indispensable.
Dans cette exposition, trois générations d’artistes se mélangent, certains vivant à Marseille, d’autres à Paris, au Japon, aux Etats-Unis ou au Canada. Jean-François Roux témoigne du désir de Bernard Plasse de réunir le monde entier pour cette occasion et de l’affection avec laquelle les artistes ont envoyé une œuvre des quatre coins du globe. Ils sont tous là, en effet, les Valabrègue, Traquandi, Paraponaris, Vasseux, Rizzo, Setton, Régent, Frommherz, Horstmann, Lesbros, Gasc, Limone, Oulab, Réno (avec un tendre hommage au galeriste), Kusnir, Klemensiewicz, Mijares, Sabatté, Pic, Petit, Messoubeur, de Hita, Olmeta, Gaume, Fabre, Domagala, Dietman, Dantzer, Clavère, Ceccarelli, Autard… Tous occupent un petit pan de mur dans une équité émouvante. La présence de stars, telles que Claude Viallat, Mounir Fatmi ou Rodney Graham, n’aura pas incité Bernard Plasse à mettre en avant certains artistes plus que d’autres, sauf peut-être Jean Bellissen et Cristof Yvoré, disparus récemment, à qui le galeriste tenait à rendre un hommage particulier.
Tous les âges, toutes les expressions, tous les médiums pour une exposition presque historique tant elle témoigne d’une époque réunie le temps d’un hommage à celui qui y est un peu pour quelque chose dans ces cent quarante destins artistiques et dit si bien : « Le mot fin comporte parfois une suite(1). »

Céline Ghisleri

 

Les 25 ans de la Galerie du Tableau : jusqu’au 19/03 à la Galerie Saint Laurent (Marché aux Puces, Hall des Antiquaires, 130, chemin de la Madrague-ville, 15e).
Rens : 09 83 98 24 16 / 06 76 91 42 61/ www.galeriesaintlaurent.com

Pour en (sa)voir plus : www.galeriedutableau.org

 

 

Notes
  1. Aphorismes, Bernard Plasse dans Ma dernière volonté : Recommencer (aphorismes semi-posthumes), aux éditions Diem Perdidi.[]
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