Le Vortex

Le Vortex, l’agenda de la vie underground marseillaise

L’Interview
Samy Delabre (le Vortex)

 

Lancé en mai 2014, le Vortex, l’agenda « coolturel » de la vie underground marseillaise, est vite devenu le pamphlet préféré des mélomanes libertaires. Rencontre avec Samy Delabre, aka Sam’Mouille, son gribouilleur, également co-fondateur de la Salle Gueule.

 

Qui es-tu Samy ?
Moi c’est Sam, Samy ou Sam’Mouille. J’ai eu mes premiers groupes de punk vers quatorze, quinze ans (El Castraburna, Vaginal Liquid, puis Hobo Erectus et Accelerator Joe), avec lesquels je jouais de la batterie à la Machine à Coudre, à l’Enthröpy, au O’Bundies (NDLR : l’ancienne Salle Gueule)… J’ai aussi fait le son à l’Enthröpy et organisé des concerts avec l’asso Well Done. Puis en 2012, arrêt de l’Enthröpy, de la fête, de la cumbia et du crust. On a alors eu l’opportunité d’ouvrir la Salle Gueule avec des potes. Parallèlement, je m’occupe depuis quelques temps de l’association du Train en Marche. Je continue à faire de la musique dans deux groupes assez récents : Da Leada (trio math rock/noise) et La Défaite (duo industriel/noise core).

 

Comment est né le Vortex ?
Je l’ai appelé Vortex par rapport au Vortex des Réformés : des gens auraient aperçu des phénomènes étranges autour de l’église et ça a été théorisé par un écrivain de science-fiction, Jimmy Guieu. Je voulais créer un truc sur la vie musicale, voire politique et militante d’extrême gauche à Marseille. En mai 2014, j’ai eu l’idée de l’agenda, vu que la vie musicale underground à Marseille était follement active comparée à quelques années auparavant. Avant l’Enthröpy, il y avait peu de choses à part à l’Embobineuse ou la Machine à Coudre. Entretemps, j’ai fondé la Salle Gueule et j’ai rencontré les personnes qui bossent à la Machine, l’Embobineuse, l’Asile 404 et Data, les petites salles de Marseille qui forment le noyau dur de la programmation du Vortex. Puis d’autres se sont ajoutés comme le Molotov ou le Poste à Galène. Dès le troisième numéro, j’ai adopté le dépliant format A6, adapté à être filé de main en main, dans la rue ou les concerts, où je traîne souvent, afin de faire un focus sur cette scène de musiques dites actuelles mais qui ne font pas partie du milieu institutionnel. J’ai fait appel à mes nombreux amis dessinateurs et graphistes… Je laisse les artistes libres, la seule consigne, c’est que ça ne soit ni trop sexué ni trop glauque.

 

L’agenda web du Vortex est très fourni, comment se fait la sélection pour la version papier ?
Le site a été lancé pratiquement en même temps par Olivier Crapoulet, et on gère les événements Facebook avec tous les organisateurs. En papier, on retrouve tout ce qui n’est pas répertorié sur Facebook, comme certains concerts dans des squats ou les Pirate Punx. Sur le net, on s’étend autour de Marseille ; le délire sur la « Confédération régionale du grand vortex salutaire » englobe le quart Sud-Est. C’est une confédération de petits activistes de la scène qu’on pourrait appeler DIY (Do It Yourself) : des gens qui agissent avec passion et peu de moyens, qui se bougent sans trop réfléchir et font ce qu’ils aiment. C’est là-dessus qu’on base la programmation du Vortex : de petits concerts faits maison par des gens dont ce n’est pas du tout le métier et qui n’en font pas profit. C’est hors de l’industrie musicale. La plupart des salles sont hors du système de subventions ou sont subventionnées a minima.

 

Comment se fait le choix des salles ?
C’est très affinitaire. Avec mon background, j’ai rencontré beaucoup de gens et Marseille reste un petit village quoiqu’on en dise. Tout est regroupé dans l’hypercentre, beaucoup de gens se croisent dans un périmètre concentré. C’est un agenda subjectif, non exhaustif. On traite d’un microcosme qui regroupe des « nanocosmes », ciblé sur une démarche de musiques libres, de gens qui ont une vision ouverte de la musique. On peut dire par exemple qu’à la Salle Gueule on fait du punk, qu’à l’Embobineuse c’est expé/noise, qu’à l’Asile 404 c’est plus performatif, même s’il s’y passe d’autres choses aussi. Le prix du PAF compte : je ne mets pas les concerts à plus de dix euros. On a une petite dimension sociale, le public auquel on s’adresse ne roule pas forcément sur l’or et est même plutôt fauché. Certaines politiques de salles et d’assos font les entrées à cinq euros, voire à prix libre. On essaie de promouvoir cette démarche populaire, ou plutôt impopulaire parce qu’on s’adresse à un public restreint.

 

Justement, qui est le public du Vortex ?
Un public adulte, des gens curieux de ces bizarreries musicales. Parfois pour les styles musicaux, il y a trois adjectifs qui se suivent du genre « math rock/noise » comme avec Da Leada, ça parle à qui ? (Rires) A pas grand monde, on en est conscients, mais c’est l’attrait de cette musique, qui crée des hybrides. Quand on va dans toutes ces salles, on se rend compte que l’ambiance est cool, il n’y a pas de snobisme, d’aspect « branchouille », c’est très écarté de la mode, c’est pour la « populasse non aseptisée », celle qui ne répond pas aux codes de ce qu’on pourrait appeler le « hipsterisme ». On essaie de faire face à une aseptisation sociétale qui fait que les gens préfèrent regarder leurs chaînes Youtube, leurs séries préférées du moment, des matchs de foot où leur équipe va perdre (rires) plutôt que d’être curieux, d’aller voir des trucs nouveaux, originaux. J’ai l’impression que les gens vont de moins en moins aux concerts. Pourtant, il y a toujours du monde. Mon référentiel reste la Salle Gueule, où on a environ 3 000 adhérents à l’année.

 

Tu parlais d’un renouveau du punk à Marseille ?
De l’underground, plus généralement. Le punk est un peu rentré dans les mœurs. Le courant de base vient du DIY, soit « bouge ton cul toi-même », qui s’est développé un peu partout : quand on n’a pas de moyens, on a ses propres bras, son cerveau et ses amis. L’ouverture de l’Enthröpy a permis d’amener un nouveau souffle, avec plusieurs soirées par semaine dans tous les styles. C’est là qu’on s’est aperçu qu’il se passait beaucoup de choses. Puis l’Asile 404 et Data ont ouvert, la Salle Gueule organisait plus de soirées, le Molotov a remplacé le Balthazar… La dynamique des salles et des organisateurs fait que ça joue à Marseille, la musique live y est de moins en moins morte. Phocéa Rocks aussi montre qu’il y a un sacré réservoir de groupes à Marseille.

 

Il y a une idéologie derrière tout ça ?
Aucune. Sinon une démarche indépendante de faire des petites choses qui nous plaisent.
A la Salle Gueule, on est proches de certaines mouvances radicales et autres regroupements informels de gens, du milieu squat politique, comme ceux qui s’occupent des migrants, qui créent des centres sociaux autogérés, et du milieu libertaire en général.

 

Quel avenir pour le Vortex ?
J’aimerais que d’autres prennent le relais et que tous les acteurs (salles, organisateurs…) prennent conscience que ce média leur appartient, qu’ils peuvent se l’approprier. Ça devrait concerner tout le monde, pas seulement moi. J’ai envie de refiler le bébé. J’en suis fier, mais il faut que ça se transmette et qu’il vive à travers les gens et leur survive. Je vais faire un mode d’emploi pour le fabriquer.

 

Vous avez créé un label de production et de distribution de disques…
Oui, avec mon ami Pierre “Lama”, on a créé le label du Vortex sur les cendres d’Acratos. On a produit le 45 tours des Dijonnais Chemist and the Ace Vities, un groupe de surf rock, et prochainement on aura The Berbiseyans, du reggae/rocksteady aussi de Dijon, ainsi que Garmonbozia, un très bon groupe lyonnais de post rock, et Canine, des Marseillais qui font du post harcore. On n’a pas de projet de développement, on veut juste vendre des disques pour utiliser les profits dans d’autres productions.

Barbara Chossis

 

Rens. : crapoulet.fr/levortex