Secret (temps 2) © Philippe Cibille

Identités remarquables | Johann Le Guillerm

Top Secret

 

La venue de Johann Le Guillerm à Marseille dans le cadre de la Biennale internationale des Arts du Cirque était un challenge aussi extraordinaire que certaines de ses œuvres fantasmagoriques. Pari largement réussi.

 

Pour Raquel Rache de Andrade et Guy Carrara (directeurs d’Archaos, du Pôle Cirque Méditerranée et de la BIAC), placer Johann Le Guillerm au centre de cette Biennale 2017 était une évidence. La programmation de cet artiste atypique, inconnu dans la région, pouvait cependant laisser craindre une fréquentation confidentielle d’initiés. Ce qui fut démenti dès le week-end d’ouverture. Depuis, le bouche à oreille a fait exploser les records d’affluence de la Friche avec 5 976 visiteurs en trois semaines, soit plus de 500 visiteurs par jour, pour ses installations Les Imaginographes (outils d’observation), L’Observatoire (laboratoire de recherche autour du point), Les Imperceptibles et La Motte (sculptures en mouvement). Au Fort Saint Jean du Mucem, 2 770 visiteurs sont venus admirer ses Évolutions élastiques, un dialogue entre les résultats de son étude sur la mutation d’une boucle et certaines œuvres d’art de la collection du musée, création spéciale pour le Mucem et la BIAC. Quant à son spectacle Secret (temps 2) au Village Chapiteaux, après avoir connu un taux de remplissage de 98 %, il affiche complet pour cette dernière semaine, fait rare pour une aussi longue période de programmation.

 

Attraction

Pape du cirque actuel ? Icône de la scène artistique contemporaine ? Inventeur génial ? Johann Le Guillerm s’est étrangement imposé comme l’artiste le plus « tout public » de la BIAC, les spectateurs venant jusque de la vallée de la Roya. L’homme fascine autant qu’il intrigue, ne livre pas ses secrets de fabrication et entretient le mystère. Pour mieux comprendre le monde, il l’imagine et l’organise selon le principe d’un point de vue multiple. Partant du peu, du rien, du point, il en décortique les mécanismes avant de les présenter sur le plateau circulaire du cirque.
Dans le prêt-à-penser ambiant, il emmène son public à développer un esprit critique : « Je fais une proposition dans laquelle chacun va percevoir des choses par rapport à sa propre culture, je ne dicte pas le regard. C’est aussi ça, l’espace des points de vue. Ne pas montrer une chose précise, mais qu’elle soit interprétable par chacun en fonction de ce qu’il est. » Ce qui rend JLG accessible à tous les points de vue, physiques mais aussi culturels, et suscite dans ses expositions des espaces de rencontres entre personnes nourries par le questionnement.
Fait rare, Le Guillerm fait aussi l’unanimité dans sa discipline (à savoir celle de sa formation initiale, la première promotion du Centre National des Arts du Cirque de Châlons), suscitant le respect de ses pairs comme les vocations circassiennes. Or, à l’instar de Yoann Bourgeois, autre révélation grand public de cette BIAC 2017, il est avant tout un explorateur : la recherche est son crédo quotidien.

 

Tout un monde

Tenter de définir Johann Le Guillerm serait vain. Aucune case où le ranger sans qu’il ne déborde : cirque, arts plastiques, performance… Le nom de sa compagnie, Cirque ici, nous donnerait-il une piste ? Sa participation à des travaux et à des colloques « Art et Sciences » nous replonge dans le doute… Il a élu domicile au Jardin d’Agronomie Tropicale (Direction de la Culture et Direction des Espaces Verts et de l’Environnement), où la Mairie de Paris l’accueille en résidence de recherche. Les deux seuls volets de son travail non présentés à Marseille nous amènent encore dans une autre direction : La Transumante est une performance, Les Architextures, des sculptures autoportées.
Lui-même se présente comme un « alchimiste », un inconditionnel curieux : « J’ai toujours été curieux. Et puis avec un père sculpteur et peintre et une mère céramiste, j’ai baigné dès tout petit dans le domaine des arts. J’aurais pu suivre cette voie comme tous mes frères. J’ai fait l’inverse, je voulais faire un métier de scène et spécifiquement de la pratique circassienne. Mais dans ce que l’on peut voir aujourd’hui, inconsciemment, je rejoins sans le vouloir mes origines. »
Souvent placé à la marge et à parfois l’orée de la raison, il n’y a pourtant de fou chez lui que sa démesure. Celle de sa perpétuelle recherche du mouvement. Ou celle de ses structures mouvantes qu’il construit sur scène sans vis ni technologie, tenues essentiellement par de simples emboîtements, sur une recherche des appuis et des équilibres.
Sur la piste de son chapiteau vert racheté à une compagnie qui a fait faillite au Festival d’Avignon, il installe une atmosphère magique. Sa gestuelle très particulière, son langage fait d’onomatopées et un charisme animal indéniable nous renvoient une image de fauve dans l’arène. Dans son habit d’apparat, fauve lui aussi, il s’engage tel un héros de western dans un rodéo troublant pour dompter les lois de l’apesanteur. Il ne combat pas la matière, il fait corps avec elle. Toutes ses inventions et ses prouesses hors normes, sa poésie, sa détermination à construire et s’élever font de Secret un spectacle saisissant d’originalité, d’émotions intenses, de singularité flagrante.

 

Petit à petits

C’est fréquemment en famille que la découverte de l’univers particulier de cet artiste se fait, naviguant entre les diverses propositions qui s’alimentent mutuellement ou peuvent être prises de manière indépendante. Son approche du monde par l’objet rappelle les stades d’expérimentations des jeunes enfants et ne peut que les séduire. Le côté ludique de ses machines à rêves, la manipulation que l’on peut en faire, ses constructions en bois géantes comme des jeux de Lego attirent immanquablement les plus jeunes. De même que le temps d’une tornade fantastique qui traverse la scène, nous voilà avec la bouille d’un enfant émerveillé, l’imaginaire redynamisé, le souffle coupé.
Si, lors de la Biennale, Le Guillerm a conquis tout un territoire, il a également rejoint à Marseille une famille de cœur. En effet, JLG est un ancien stagiaire et interprète d’Archaos. Il s’est retrouvé ici voisin de chapiteau d’Antoine Rigot (Les Colporteurs), dont il a été l’élève puis le collaborateur sur La Volière du Théâtre Dromesko. Quant à la fameuse Motte, elle a en partie été créée aux ateliers Sud Side de la Cité des Arts de la Rue.
Ravi de cette belle rencontre avec le public marseillais, Johann Le Guillerm aurait pu fermer une boucle, lui qui les affectionne tant, s’il n’était déjà en train de la démultiplier ailleurs : « La pratique circassienne est une pratique glissante. S’il y a une vulgarisation de celle-ci, elle n’est plus minoritaire et perd son intérêt. C’est pour cela que l’on ne peut pas vraiment identifier une pratique circassienne car elle va bouger dans le temps, surtout aujourd’hui alors que le cirque est de plus en plus à la mode, avec une recrudescence des écoles, donc des praticiens. Ainsi, ces pratiques minoritaires le deviennent de moins en moins et il faut trouver d’autres manières de faire des choses inhabituelles. Voilà pourquoi depuis quelques temps, je m’intéresse surtout à développer des choses qui ne se pratiquent pas dans les corps de métier ou chez les hommes en général, mais pas non plus dans les circuits. » En témoigne Le Pas grand chose, sa nouvelle création, une « tentative pataphysique ludique » sous forme de conférence performée présentée le mois prochain au Théâtre Montfort à Paris. Avant de revenir peut-être bientôt dans la région. C’est tout ce que l’on peut espérer.

Marie Anezin

 

  • Secret (temps 2) : jusqu’au 18/02 auVillage Chapiteaux de la Biennale (Plages du Prado, 8e).
    Rens. : www.biennale-cirque.com

  • Installations : jusqu’au 19/02 à la Tour Panorama de la Friche (41 rue Jobin, 3e).
    Rens. : www.lafriche.org

  • Evolutions élastiques : jusqu’au 20/02 au Mucem / Fort Saint-Jean (Esplanade du J4, 2e).
    Rens. : www.mucem.org

Pour en (sa)voir plus : www.johannleguillerm.com