Identités Remarquables | Oumou Sangaré

Divafrica

À l’occasion de la Fiesta des Suds, la diva d’Afrique de l’Ouest Oumou Sangaré revient à Marseille au J4, précisément là où elle s’était produite en 1995.

 

Née à Bamako, Oumou Sangaré est la fille cadette d’une famille Peul originaire du Wassoulou, empire éphémère de l’Afrique précoloniale à la fin du XIXe siècle.

Alors qu’elle n’a que deux ans, son père disparait du foyer, et la voix d’or de la petite Oumou devient le trésor familial : « Quand j’ai débuté ma carrière, je n’avais qu’une idée en tête : venger ma mère », nous dit celle qui rend un bouleversant hommage à cette mère dans Minata Waraba (Minata la lionne).

Rebelle dès ses débuts, Oumou Sangaré pointe les problèmes sociaux, le mariage forcé, l’excision, l’exode économique, la déforestation et, surtout, défend les droits des femmes et des opprimés. Elle s’insurge, dénonce, vitupère avec une force et un talent tels qu’elle devient une égérie. Son nom est également associé à la promotion de certaines valeurs ancestrales, comme en témoignent les chansons Mali Niale, Djoukourou et Fadjamou. Dans la première, elle exalte les forces vives de son pays, le Mali, qui tente de se relever d’une crise multiple. Dans la deuxième, elle expose cette idée élémentaire qu’« on a toujours besoin d’un plus petit que soi. » Enfin, dans la troisième, elle vante les mérites de l’appartenance, ethnique ou dynastique, dans une société édifiée sur l’interdépendance entre groupes et familles.
Sa ascension s’avère fulgurante. Elle a cinq ans lorsque son don pour le chant l’amène à se produire dans les « soumous » (fêtes rituelles) et à recevoir le premier prix d’un concours interscolaire.

Encore mineure, elle se produit avec l’Ensemble National du Mali, tourne en Europe avec le groupe Djoliba et enregistre à Abidjan sa première cassette, produite par Abdoulaye Samassa. Son premier album, Moussolou (Les femmes), à l’âge de quinze ans, est un succès déferlant en Afrique de l’Ouest, avec deux millions de CD et de cassettes vendus.

En 1993, elle sort l’album Ko Sira, et trois ans plus tard, Worotan, sur le label World Circuit, qui lance sa carrière de internationale. Elle tourne dans le monde entier, et particulièrement aux États-Unis, où elle fait systématiquement salle comble.

Pensant que chanter n’est pas suffisant, elle veut montrer aussi l’exemple. Elle fait bâtir un hôtel (le Wassoulou) à Bamako, lance sa propre marque de voiture (Oum Sang) et, surtout, crée une ferme pilote qui distribue gratuitement ses produits aux hôpitaux et aux orphelinats. Constatant le manque de moyens de transport à Bamako, elle fonde également une compagnie de taxis et un centre de formation dans lequel les élèves sont embauchés à l’issue de leur apprentissage.

Tout cela sans laisser tomber la musique. En 2009, elle revient ainsi en force avec l’album Seya, avec Cheich Tidiane Seck à la direction artistique, prouvant que la business woman, modèle de réussite pour toutes les Africaines, n’a pas enterré l’extraordinaire chanteuse, et que le succès n’a pas éteint la flamme de l’indignée, toujours prompte à dénoncer les injustices. Lorsque la guerre éclate, les médias n’osent pas aller au front. Oumou Sangaré les y emmène, tambour battant. Un incident raciste la conduit à la radio nationale, où elle interrompt l’émission en cours pour s’insurger contre la xénophobie.

Son projet actuel lui a été soufflé par une délégation de jeunes originaires du Wassoulou et leurs familles qui militent contre l’exode rural et pour une dynamisation du territoire. Le conseil du village lui a offert un terrain. Suite à des palabres avec son amie Magali Berges, Madame Sangaré, qui a beaucoup voyagé et expérimenté un paquet de lieux culturels à travers le monde, y fait bâtir quarante cases pour les visiteurs européens habitués à un certain confort. Et elle est en train d’y ajouter un centre culturel/bar/restaurant. Le Wassoulou est une région matrice de cultures, dont les expressions musicales hypnotiques, comparables à celles des Gnawas, servent d’intermédiaires entre les hommes et les forces de la nature. Oumou Sangaré prévoir d’y organiser, en février 2019, un festival international des musiques dans le village de Yanfolila, capitale de la région.

Mogoya, son dernier album, marque son grand retour à la chanson. Oumou y parle de ce qu’elle connaît le mieux, à savoir les rapports humains (Mogoya peut se traduire par « les relations humaines aujourd’hui »), en particulier les problèmes spécifiques que rencontrent les femmes africaines au quotidien, et les rapports souvent difficiles qu’elles entretiennent avec le monde des hommes. En cela, Mogoya équivaut au parachèvement d’une conquête, celle d’un équilibre personnel pour cette battante qui donne l’exemple après s’être tracé une voie royale en dépit des préjugés et des obstacles rencontrés. Dans Yere Faga, elle aborde avec une impressionnante franchise l’un des fléaux que connaît la société africaine moderne, le suicide.
Le disque a été produit entre Stockholm et Paris, avec la contribution du collectif de musiciens français Albert (Vincent Taurelle, Ludovic Bruni et Vincent Taeger), et la participation du légendaire batteur Tony Allen. À partir d’une base enregistrée par le Suédois Andreas Unge, dans laquelle explose notamment le talent du jeune guitariste malien Guimba Kouyaté, Albert a ajouté sa french touch, réalisant l’imbrication parfaite entre instruments traditionnels africains (kamele n’goni, karignan, percussions…) et corpus guitare/basse/batterie/claviers.
Si l’adjectif « rétrofuturiste » n’était à ce point galvaudé, on l’attribuerait volontiers à cet album qui nous parle d’une Afrique aussi éternelle que contemporaine, et qui constitue à n’en pas douter l’un des plus beaux achèvements musicaux de la carrière d’Oumou.

Récemment, elle a mis le feu au dernier festival de Glastonbury au Royaume Uni où 200 000 personnes sont venues à l’acclamer.

Son dernier album, Mogoya, est disponible chez No Forma.

 

Catherine Moreau

 

Oumou Sangaré : le 12/10 sur l’Esplanade du J4 (2e), dans le cadre de la Fiesta des Suds.

Rens. : www.dock-des-suds.org/fiesta2018

Pour en (sa)voir plus : www.facebook.com/pages/category/Musician-Band/Oumou-Sangare-9288724562/

 

 

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=