Jean Guillon

Identités Remarquables | Jean Guillon du Théâtre Volant

Conter sur la vie

 

Moustache gauloise et cheveux blancs hirsutes, Jean Guillon avoue qu’avant de devenir conteur, il « voulait faire savant ». Ce désir d’invention ne l’a jamais quitté ; il a juste troqué ses éprouvettes contre des mots et des idées. Le célèbre propriétaire du Théâtre Volant, autobus de cinquante places (orchestre et balcon compris) installé à l’occasion du festival éponyme dans les jardins du Corbusier, nous a offert un thé et un feu de bois. Et dans notre âme, il brûle encore, à la manière d’un feu de joie.

 

Sa voix est posée, le temps s’étire étrangement à son contact. Aucun doute : nous sommes face à un professionnel de la parole. Mais il ne fait pas de politique, point de discours fumeux derrière cette technicité à articuler de la pensée. Simplement une grande maîtrise et un amour infini pour son métier. « Raconter des histoires, c’est faire naître dans la tête de l’auditoire des images et des aventures. » Lorsqu’on lui demande, de manière un peu provocatrice, quelle est la fonction du conteur dans la société actuelle, il répond sans ciller : « La société numérisée est numérisée pourquoi ? Pour vendre. L’espace de liberté du web se ratatine comme peau de chagrin. Évidemment, si on compare l’encyclopédie de D’Alembert avec Wikipédia, il y a plus d’entrées. Si on voulait imprimer Wikipédia, il y aurait 80 000 volumes. Mais quel est le rapport de l’humanité avec ce savoir ? Ce savoir stocké dans du binaire, qui nous vient comme ça et que nous stockons pareil dans nos mémoires ? Qu’est-ce qui reste au conteur là-dedans ? Tout le reste, c’est-à-dire un espace humain énorme. »

Jean Guillon partage la plupart du temps des histoires qu’il invente, des histoires traversées par des problématiques personnelles, comme la transmission. Traditionnellement, les contes se perpétuent d’ailleurs par l’oralité et se modifient au fil des conteurs. Pour lui, la mémoire du conteur se situe en dessous des mots, avant que les images se particularisent, afin que chaque auditeur puisse recevoir le récit depuis son endroit. « L’artiste est quelqu’un de conséquent, de sérieux, qui questionne la vie, fait parfois des découvertes et a envie de les partager. En découle ainsi son rôle dans la société. Mais à partir de là, on n’est pas dans un rapport d’échange… »

À prix libre, le festival du Théâtre Volant fait la part belle à la diversité des pratiques : magie, chant, théâtre, atelier d’écriture sont autant de manières simples et variées pour s’approprier cet espace de rencontre et de liberté. « Cette pseudo autonomie est un rêve fou que je mène à bout de bras, mais qui n’est pas sérieux. J’ai commencé dans la rue avec un tapis, avant d’avoir mon premier autobus de la Régie des transports de la ville de Marseille. L’idée est de créer un espace qui soit bien pour raconter. Le Théâtre Volant, c’est un objet merveilleux : je m’installe où je veux, quand je veux. Mais je suis bien content quand on m’achète, c’est quand même plus facile. »

La fumée s’épaissit soudainement dans la pièce, Jean se lève d’un bond de son fauteuil. « Quel imbécile, j’ai oublié d’ouvrir la trappe ! » Un temps. Le feu crépite à nouveau, l’air redevient doux, le calme se réinstalle… « Nous vivons dans une société du spectacle. Que veut dire faire du spectacle dans une société du spectacle ? Où est la frontière ? C’est très important. Comme le storytelling : les sociétés de communication se sont rendu compte qu’en racontant une histoire, on faisait passer n’importe quelle idée. On peut vendre des savonnettes ou des présidents de la République… Alors, qu’est-ce qui fait le conteur ? Où est la différence ? Elle est dans la motivation profonde de l’artiste, qui a vu quelque chose et qui veut le partager. » À nous d’en faire autant.

 

Maude Buinoud

 

Festival Le Théâtre Volant : jusqu’au 19/11 dans les Jardins de la Cité Radieuse Le Corbusier (280 boulevard Michelet, 8e).
Rens. : 06 13 56 60 87 / jeanguillon.conteur.free.fr

Le programme complet du festival Le Théâtre Volant ici