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Identités Remarquables | Hifiklub

Ardents reflets

 

Pour marquer la sortie d’Infernu, on fait le point sur Hifiklub, groupe au caractère insaisissable, grâce à la rencontre de Régis Laugier, son fondateur, et de Jean-Loup Faurat, membre permanent.

 

Vendredi treize octobre dernier, sortie chez Casa Edition du dixième album du groupe toulonnais Hifiklub, Infernu : l’expérience infernale d’une musique expérimentale absolument fascinante. Du free rock devenant de plus en plus inclassable. De l’inédit. La griffe du rare, en somme.

Infernu, un titre en corse pour signer le prolongement du travail effectué sur l’album Vacanze in Pigna, expérience acoustique à l’onirisme sauvage, qui nous plongeait depuis l’île de beauté dans un fondu entre bruit et harmonie.

Avec ce dixième album et ses neuf titres, dont on retiendra particulièrement l’animalité ensorcelante du morceau Qualunquamente stracunghjucale, le groupe incline légèrement le registre. Grâce à l’atmosphère plutôt jazzy apportée par André Jaume, les mixages très lisibles d’Alain Johannes, instance importante pour le groupe, puis la présence douce des instants guitare, l’album s’oriente vers une tonalité beaucoup plus intimiste. Le moment sombre où le chant devient mélodieux s’entend comme un rituel lascif et la parole en langue corse apporte une magie envoûtante, déroulée sur les sphères géographiques de son immensité. Un paysage se devine, se dessine, par le biais de la musique. Le lieu offre une source d’inspiration extra-musicale, comme souvent chez le groupe. Dès lors, difficile de qualifier Hifiklub. Hypnotisant ? Addictif ? Bref, un enfer. À l’instar des coloris rouges et noirs qui ponctuent le graphisme du disque.

 

Évolution constante

Alors, depuis 2007, une évolution ? Évidemment, la question se pose. À l’origine, des copains toulonnais se réunissent dans un repaire de création singulier : La Tomate. Lieu socle. Ancrage. Et la volonté rapide de créer des formats différents, de détourner la musique pop, comme une déstructuration du classique couplet/refrain.

Parce qu’en fait, à ses prémices, Hifiklub c’est une voix ultra sexuée à la Jarvis Cocker, celle de Régis Laugier, également bassiste du groupe. Et, malgré, des cadences rock plus classiques, se fait sentir une envie de jouer sur un registre lancinant, tout en rompant parfois la mélodie (guitare saturée et jeux de batterie à la Slayer).

Évolution donc, parce que passer de Babe Doll sur le premier album French Accent (qui d’ailleurs, avec son titre H.M, abordait déjà, en anglais, le thème du monstre) à la reprise épidictique du Velvet Underground sur l’album Ghost of Nico ne s’improvise pas. Parce que transformer du Niagara avec Alain Johannes en faisant de Pendant que les champs brûlent un titre à la modernité rythmique complètement renouvelée, déchirante, démontre le pouvoir de créativité du quartet de base. Parce qu’écouter À la fin je l’espère, dans l’album auquel Régis est très attaché, Double Quartet, travaillé avec Fatso Jetson, relevait déjà d’une expérience acoustique rare, le groupe sondant là une fluidité qui s’achevait dans les échos d’une voix presque science-fictionnelle. Idem pour la tonalité légèrement électro se dégageant de Data, de l’album How to make friends, ou encore pour les passages presque parlés présents dans Don’t give up, qui syncopent indéniablement la mélodie. Se dégagent aussi, à travers ces dix années, des moments grunge à la Sonic Youth sur des riffs très saturés, ou bien des jam sessions dans quelques albums illustrant parfois chez Hifiklub une influence jazz. Sans compter de nombreuses collaborations teintées de diversité. Par exemple, en prévision, un album pour 2018 en création avec Lee Ranaldo, le guitariste de Sonic Youth, sur le label américain Joyful Noise Recordings, ou l’alliance avec Jean-Marc Montera depuis les origines, en expérimental. Une constante évolution, pourrait-on dire.

 

Images, poésie, envoûtement

Pourtant, il reste abusif d’affirmer qu’Hifiklub n’est qu’un « groupe de musique ». Ce qui saute aux yeux dans le parcours du quartet, c’est son extrême transversalité, sa polyvalence artistique rare, donc originale. Ses influences multiples également. Outre le simple travail sonore, le groupe s’intéresse à l’image, se penche sur la possibilité de ce que l’acoustique dessine picturalement, sur la naissance de contours visuels. En témoigne leurs nombreuses participations au travail de graphistes, de plasticiens, de cinéastes. Entre autres, ce portrait de lieux abandonnés dans Toulon, On dirait le Sud ; ou la bande son de l’exposition Smiled d’Olivier Millagou. Comme une réflexion sur le paysage, son émergence par la musique. Cet aspect semble être l’enjeu majeur dans les explorations du groupe, au fur et à mesure de son parcours. Une bascule vers l’image, désir initié par la collaboration avec le photographe Olivier Amsellem. Le choix de se positionner sur le terrain des lieux, de l’architecture, des endroits désaffectés. Des paysages… La Corse dernièrement. Sans étonnement alors, s’orientent de futurs projets pour 2018 envisageant soit les musiques africaines, soit la langue tchèque.

Pas surprenant, du coup, d’apprendre que le groupe a monté un projet autour de la poétesse Dickinson avec Roddy Bottum de Faith No More et prévoit un travail avec l’acteur Charles Berling, entremêlant mots de théâtre et acoustique, laissant une certaine part, a priori, à l’improvisation musicale, un des façonnages d’Hifiklub depuis ses débuts, qui signe d’ailleurs son envie de créer autour de la musique contemporaine. Sans que cette branche ne se veuille réductrice. Toujours et revendiqué, le caractère insaisissable de la proposition artistique, la réactivité maximale du groupe.

Bref, Hifiklub décourage de facto les détracteurs malfaisants d’une musique aisée. Depuis le commencement, le groupe se positionne sur du noir, du sombre, de l’insane. Avec l’évidence momentanée d’une absence de tournées mais, à l’inverse, le choix de dates singulières. Ce qui change à mesure, c’est la façon, de plus en plus polyvalente. Le prouveront les cartes postales sonores imaginées en accointance avec David Shrigley. Utilisant au départ des rythmes encore mélodiques — quoique rappelant parfois aussi les délires de Led Zep — l’évolution émerge et s’expérimente via une acoustique du bizarre, de l’étrangeté sonore qui ne représente plus qu’elle-même. Pas de programmation ? Et alors ? Forcément, Hifiklub repousse toujours les limites de la musique, grâce à l’image produite par le field recording. Via son aspect polymorphe, le groupe prend ici la forme mystérieuse d’un alien. Avec tout ce que certains monstres possèdent d’envoûtant, d’attirant et d’insaisissable : Qualunquamente stracunghjucale.

 

Aude Granier Chamboncel

 

Dans les bacs : Infernu (Casa Editions)

Dj set le 20/10 à la Bière de la Rade (300 rue Amiral Nomy, Toulon). Rens. : www.bieredelarade.com

Pour en (sa)voir plus : www.hifiklub.com / www.facebook.com/hifiklub