Baptiste Amann

Identité remarquable | Baptiste Amann

Conscience humaine

 

Il dialogue avec le passé et interroge le futur dans sa trilogie Des territoires… Baptiste Amann se conjugue pourtant au présent. Présenté dans le cadre du festival Actoral au Théâtre du Merlan et bientôt au Festival d’Automne de Paris, son deuxième volet consacre la naissance d’un metteur en scène inventif assorti d’un auteur contemporain talentueux et profondément humain.

 

La notion de territoires est au cœur de tous les conflits, politiques et humains. Nos territoires se définissent selon des critères affectifs ou subjectifs pour celui qui n’a qu’un seul objectif : envahir l’autre. Avec sa trilogie Des Territoires…, Baptiste Amann, bien que pimentant son récit d’anachronismes, cherche quant à lui la cohésion. « Chez Baptiste, rien n’est évident », dit affectueusement son frère aîné. Il aime l’hétérogénéité et bousculer les apparences.

Son look sweat à capuche, sneakers de marque et casquette de rappeur vissée à l’envers contraste avec son refus de voir le label « banlieue » accolé à sa trilogie sous prétexte qu’il a vécu dix-huit ans en « cité ». Pour lui, cette catégorisation trop réductrice, voire facile, risquerait d’ériger ses pièces en pamphlets sociologiques ou politiques. Or, la banlieue en est le cadre, non le sujet. Baptiste Amann se contente d’interroger quel impact les territoires produisent sur notre personnalité. Impossible de le vérifier avec lui tant notre homme se révèle pudique et soucieux de préserver l’intimité familiale.

Il lâche seulement que ce regard si particulier qu’il porte sur le monde et la société, cette manière d’écouter, de se centrer sur les êtres, est l’héritage de ses parents : « J’essaye de mettre en scène des êtres qui ne se sont pas réalisés et d’en montrer le pourquoi au lieu de les juger. Je m’attache à créer un rapport empathique. »
 

L’observatoire des territoires

Rejoignant le livre Les Lisières d’Olivier Adam dans cette volonté de donner à voir des « êtres périphériques », excentrés, à la fois présents et absents de tout, sa trilogie se créera sur six ans : Nous sifflerons la Marseillaise en 2013, D’une prison l’autre conçu pour le dernier Actoral, et le prochain opus, Et tout sera pardonné, qui fera l’objet d’une présentation regroupant les trois volets en un seul spectacle.

Une fratrie revient dans le pavillon de banlieue de son enfance enterrer ses parents. Une sœur et trois frères, dont l’un, Benny, souffre de troubles mentaux suite à un accident.

Baptiste s’attache à suivre le mouvement de leur deuil sur trois jours. Chacune des pièces sera respectivement traversée par le déni, la colère et l’acceptation, mais aussi par la Révolution française, la Commune et la révolution algérienne. Il s’y juxtapose une double temporalité pour essayer d’encercler cette inquiétude : quelle révolution appellera le 21e siècle ?

Baptiste Amann s’intéresse aux héros engagés de l’histoire plutôt qu’aux héros institutionnels comme Condorcet ou Élisabeth Dmitrieff, qui incarne la pensée communarde et non l’idéologie : « Ceux qui me touchent sont ceux qui n’ont pas eu de reconnaissance à la mesure de leur engagement. »

L’engagement, il le tient de sa mère, son éveil averti à son expérience de vie. En 2005, il passe du temps avec des jeunes impliqués dans les émeutes des banlieues parce qu’il est persuadé que l’on est en train de passer à coté de quelque chose, que le geste n’est pas gratuit, que certains ont une conscience politique.

Désormais, il passe son temps à être dans l’action culturelle, à proposer des ateliers d’écriture dans les lycées, à essayer de toucher des publics qui ne sont pas concernés par la culture, faire des spectacles dont les propos sur la société soient un peu incisifs. Alors qu’il ne met rien dans la politique, c’est l’amitié qui l’a amené à voter aux deuxième tour des présidentielles. Un pote qui n’aurait pas pardonné de ne pas avoir participé à barrer la route à certaines menaces.

 

Le bon plan B : sa bande

Obsessionnel, bosseur, rigoureux, Baptiste Amann est plus que tout fidèle à sa bande d’amis/comédiens et fait de cette grande fresque ambitieuse une vertigineuse aventure humaine : « Avec cette équipe, il y a un phénomène de regards croisés ; on se regarde travailler et évoluer. » À sa sortie de l’ERAC (École Régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille), il met en pratique l’idée enseignée : un acteur ou metteur en scène ne doit pas être que cela. Avec ses potes de promo Victor Lenoble, Solal Bouloudnine et Olivier Veillon (le talent de ces deux derniers explose littéralement dans la trilogie), il imagine L’Outil, plateforme tournante de projets individuels sous le regard du collectif. Mais c’est avec l’IRMAR (l’Institut des Recherches ne Menant À Rien) qu’ils se révèlent. Lyn Thibault, pilier féminin de la triologie, y participe.

Des territoires… pourrait paraitre à l’opposé de l’objet hybride, performatif, sans paroles et délirant qu’était l’IRMAR. Il y persiste pourtant cet esprit solidaire, créatif, joyeux, empreint d’humour et de dérision que l’on avait pu apprécier dans Spectateurs, droits et devoirs. Un contrepoint au dramatique incarné par le personnage de Benny.

L’autre frère de la trilogie, Samuel Réhault, vient aussi de l’ERAC. Dans le second volet, d’autres comédiens aussi doués — Nailia Harzoune, Yohann Pisiou, Anne Sophie Sterck —intègrent la bande.

En répétition, une indication de jeu à améliorer est tout de suite suivie d’un compliment, inconsciente manière de ne pas mettre en échec, d’accompagner le travail. Humble, Baptiste dit ne pas s’en rendre compte : « Je sais pas comment faire autrement que dire vraiment ce que je ressens. En formulant que l’on ne sait pas ou que l’on a peur, ça ouvre tout un tas de disponibilités et les gens sont beaucoup plus engagés lorsque celui qui coordonne a cette attitude et dit essayons ! Ce sont eux qui m’intéressent et avec qui j‘apprends à faire des spectacles. »

Soutenu par Montévidéo et Actoral dès ses débuts, Amann loue le courage de création et l’exigence de sa programmation de son directeur Hubert Colas. Lui qui a fait quelques pièces en tant que comédien avec Colas (Gratte-ciel) est de la même veine, de celle des tenaces ignorant la facilité.  

En 2018, il sera de la nouvelle Bande d’artistes associés au Merlan car Francesca Poloniato a eu un coup de cœur : « Baptiste ne dissocie pas son sujet de l’action culturelle qui nourrit son spectacle. En cela, il a totalement sa place au Merlan ! »

 

Auteur de théâtre

Pas du tout biberonné au Festival d’Avignon, son premier contact avec la culture prend la forme d’une espèce de grand écart entre la musique classique (il a décidé de faire du piano à cinq ans) et le hip-hop. Il passe par le cirque avant d’arriver en tant que comédien au théâtre et au cinéma. Seule constante : l’écriture. Le récit est une partie inhérente de son être. Il sème ses carnets partout car il écrit tout le temps, souvent la nuit. Très tôt, il comprend le pouvoir des mots, en racontant des histoires de taureau ailé à son jeune frère pour qu’il rit de ses terreurs nocturnes plutôt que d’en pleurer. Son écriture est lyrique, poétique, elle questionne au lieu d’asséner des vérités. Finalement, elle est à l’image de son auteur : sensible, pointue, riche et ouverte. En 2017, elle est récompensée par le prix Bernard-Marie Koltès des lycéens initié par le TNS.
Il écrit régulièrement pour Rémy Barché (La Truite). Il ne se sent pas écrivain pour autant. Aussi, être édité par un théâtre, en l’occurrence celui qui l’accompagne, Théâtre Ouvert, ne pouvait que lui plaire.

 

Baptiste Amann dit qu’il n’y a pas de message à tirer de ses spectacles. Pourtant, ce qui traverse tout son travail pourrait se résumer par l’une de ses phrases : « Ce qui serait triste dans la vie d’un homme ou d’une femme, ce serait qu’à aucun moment du temps qui lui est imparti, il/elle n’ait pu incarner ce qu’il/elle était. »

 

Marie Anezin

 

Des territoires (… d’une prison l’autre…) de Baptiste Amann était présenté les 29 et 30/09 au Théâtre du Merlan dans le cadre du Festival ActOral
Pour en (sa)voir plus : www.compagniesoleilbleu.fr