Goeffroy Mathieu par Jeanne Mathieu

Geoffroy Mathieu – Matière Noire à la Salle des Machines

JE de lumière

 

L’exposition Matière noire du photographe Geoffroy Mathieu à la Friche est une expérience intimiste avec la particularité d’une lumière qui agit comme une signature.

 

Les courbes d’un viaduc émergent d’une forêt dense ; le blanc des murs d’une maison, en devenir, réfléchissent le spectre d’un crépuscule ; un brûlis sur un coteau dessine une abstraction géométrique. Dans le travail de Geoffroy Mathieu, la photographie privilégie la qualité d’une contemplation, à l’écart du bruit et de l’actualité. L’instant décisif devient un moment de la journée où la lumière entre en résonnance avec la matière photographiée. Le clair obscur cher à la Renaissance retrouve un terrain d’entente avec un monde contemporain où la nature côtoie les aberrations de l’homme. L’architecture agit comme une dissonance qui s’entrechoque avec les lignes sinueuses du paysage. Ici, rien n’est naturaliste. Chaque image nous renvoie à la présence de l’homme dans ses interventions et ses choix.

« Beaucoup de mes photographies montrent une impasse du monde. Le réservoir d’eau nous rappelle une déshumanisation par le béton. Quelque chose qui nous tourne vers le passé. » Les images de Geoffroy Mathieu prolongent l’histoire d’une photographie plasticienne qui aime discourir avec la peinture dans le choix d’un format monumental et dans l’idée que la lumière est centrale et prime sur toute autre considération. « Mes photographies sont faites dans une pratique du quotidien, quand je suis disponible ou quand il y a un émerveillement, quelque chose de transposable. J’ai commencé la série Matière noire en 2013. Les séries arrivent quand je peux faire dialoguer plusieurs images. » En 1930, Walker Evans décidait de photographier la grande dépression par un choix de cadre et d’intention dépourvu d’émotion, pour mieux regarder la rue et l’habitat dans ses moindres détails, à l’affut d’un papier trainant sur le sol, d’un toit usé, d’une fenêtre brisée, d’un ciel ombrageux magnifié par la qualité du tirage. Ce détachement sur les événements, presque à hauteur de colline, nous préserve de la violence du monde et de sa misère extravagante. Il nous autorise à porter un regard critique qui va chercher des indices, plutôt que de subir la souffrance d’un corps qui avance vers l’objectif. « Il y a plein de moments dans ma vie professionnelle où je suis en voiture pour des commandes de paysages pour les Parcs Naturels Régionaux. Je peux rouler et voir quelque chose à travers le pare brise. Je photographie du solide, du gazeux, du liquide. Quelque chose qui constitue les éléments terrestres. La matière noire englobe quatre-vingt pour cent de la matière de l’univers. Ce n’est pas illustratif, mais ça me permet de rassembler les images dans un ensemble qui propose de les regarder sans orienter la lecture. » Après des études de comptable, Geoffroy Mathieu entre dans l’agence Magnum où il travaille à la fabrication des livres et au montage des expositions. « J’avais l’impression de rentrer dans le temple de la photographie de reportage, mais je risquais de ne pas devenir photographe. Mes études à l’École d’Arles ont transformé ma vision de la photographie. Je me suis retrouvé dans quelque chose de plus contemplatif. »

 

Karim Grandi-Baupain

 

Geoffroy Mathieu – Matière Noire : jusqu’au 4/03 à la Salle des Machines (Friche La Belle de Mai – 41 rue Jobin, 3e), dans le cadre du festival La Photographie Marseille.

Rens. : 04 95 04 95 04 / www.lafriche.org / www.laphotographie-marseille.com

Pour en (sa)voir plus : www.geoffroymathieu.com