Anne Paceo © Sylvain Gripoix

Festival Jazz sur la Ville

Urbain de jazz

 

Le grand raout de jazz automnal, mené de main de maître par le pygmalion des scènes jazz phocéennes Michel Antonnelli, propose une dixième édition riche en diversité musicale, à une échelle métropolitaine. Comme un contrepoids à la métropolisation capitaliste que les dominants voudraient nous imposer.

 

Ainsi de la présence féminine dans la profusion de dates annoncées. Ces dames, musiciennes et/ou chanteuses, sont autant d’héritières de la Maria du Metropolis de Fritz Lang, qui fera s’écrouler l’ordre établi dans le film. Lou Tavano, tout en feinte fragilité, dans son univers soul et slave, ouvrira les hostilités à la tête d’un sextet redoutable dans un Cri du Port à l’épicentre du séisme. Marion Rampal, égérie de la Compagnie Nine Spirit, nous ramène de belles pépites louisianaises avec son projet Main Blue — à l’instar du Music Is My Home de Raphaël Imbert certes, mais avec une formation réduite qui s’avère des plus alléchantes (Fender Rhodes, batterie). Aïda Diene, souvent vue au Rouge Belle de Mai, délivrera son hommage à la Jungle Queen Abbey Lincoln, icône d’un jazz black power, à la Maison du Chant : avec ses accents gospels, elle nous secouera jusqu’aux tréfonds de l’âme. Laura David a su convaincre, par son talent rappelant une Anita O’Day, rien de moins que le pianiste Laurent Coulondre et ses acolytes (nantis d’une Victoire du Jazz plus que méritée), à l’accompagner pour son tour de chant au Petit Duc aixois. Instrumentistes, les jazzwomen font de redoutables riot girls, qu’il s’agisse de la légende vivante libertaire contrebassiste Joëlle Léandre (en duo avec le trompettiste Jean-Luc Cappozo au Moulin à Jazz), de la saxophoniste lunaire Géraldine Laurent à la tête de son quartet At Work, voire de la batteuse Anne Paceo, formidable de polyrythmie et de poésie.

La métropole survivra-t-elle cependant à l’attaque jazzistique globale centre/périphérie ? Comment ressortira-t-on des propositions new-yorkaises alignées ? Les performances du clarinettiste Oran Etkin (un jour à la Criée avec son combo Timbalooloo, pour les minots et les grands enfants, le lendemain en duo avec son pianiste pour un hommage à Benny Goodman au Musée Cantini) transporteront les publics loin des rivages provençaux. Les concerts qui s’annoncent géniaux du doux et furieux contrebassiste Omer Avital (en quintet à l’Espace Julien) et de Itamar Borochov (en quartet au Cri du Port, et quel groupe !), le trompettiste qui monte, seront là pour nous rappeler l’universalité d’une musique nourrie de Méditerranée et d’Orient. Le pianiste italien Antonio Farao ravivera l’art du trio jazz à Vitrolles avec son post-bop enjoué et lyrique. Immanquable à Cabriès : le duo Jacky Terrasson/Stéphane Belmondo (piano, trompette) pour un set issu de leur émouvant album Mother sorti récemment : la sémillante association Comparses et Sons les convie pour un concert « en matinée » un dimanche après-midi à la Maison des Arts de Cabriès, pour un moment d’éternité canaille.

Ah, si le jazz pouvait être un vaccin contre les fantasmes identitaires qui sont trop souvent l’apanage du territoire en question… Suprême métissage depuis ses origines, cette musique créole s’acoquine volontiers avec des artistes trop souvent catégorisés world, tels les résistants touaregs Tinariwen avec leur blues saharien, le Tout-Puissant Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou ou, bien sûr, le sublime oudiste tunisien Anouar Brahem, voire le néo-blues de Delgres (à la Mesón). Bien sûr, il y aura du blues, de l’authentique, au Cri du Port, avec des Chicagoans, manière de rappeler le génome commun des notes bleues. L’appétence pour des formes libérées, présumées plus improvisées, sera entretenue par force prestations, notamment la tournée régionale de Andy Emler Running Backwards (Marc Ducret à la guitare devrait en faire voyager plus d’un-e), ou celle du trompettiste américain Nate Wooley (à Charlie Free et à l’AJMI en Avignon)… Sans compter le retour dans les murs de la cité phocéenne du génialissime saxophoniste Akosh S. pour son duo légendaire avec le magicien de la batterie Gildas Etévenard.

On comptera cependant toujours et encore sur les talents régionaux pour continuer l’inlassable travail de sape des fondations métropolitaines. Dans l’ordre alphabétique : Basso, Benhamou, Bonnel, Brazier, Fénichel (ici sur un projet « jamaïcain », mais on ne dira jamais assez tout le bien que l’on pense de son hommage à Paul Desmond, qui fut le saxophoniste de Dave Brubeck), Griolla, Imbert, Karapétian(s), Leloil, Murphy, Pioli, Versini… tous ces cats nous réservent de belles surprises. On pourra aussi profiter des conférences-concerts donnés au Non-Lieu (ah, cette soirée accordéon promet), voire d’un ciné-concert à l’Alhambra (oui, Marseillais, il faudra aller dans les quartiers Nord), ou d’une pièce de théâtre en hommage à Nina Simone — décédée à Carry-Le-Rouet. Difficile de sortir de la carte musicale ainsi dessinée, mais on n’oubliera pas de continuer à se rendre au Jam, au Rouge, au Roll’s, voire à l’excellent jeune festival aixois Minutes Jazz, structures non adhérentes à ce qui n’est pas un festival, mais plutôt un réseau. Car c’est le destin du jazz de déborder des frontières, fussent-elles fondées sur la « force des liens faibles ».

Laurent Dussutour

 

Festival Jazz sur la Ville : du 3/11 au 3/12 à Marseille et en Région PACA.
Rens. : www.jazzsurlaville.fr

Le programme complet du festival Jazz sur la Ville ici