Plamena Mangova © Marco Borggreve

Festival International de Piano de la Roque d’Anthéron

Chi va piano, va sano e va lontano

 

Le Festival International de Piano La Roque d’Anthéron est maintenant une entreprise familiale de deuxième génération. Il a évolué, depuis 1981, avec des valeurs consacrées à la promotion de l’excellence pour tous. Les années passées ont façonné, dans la mémoire collective de près de deux millions d’auditeurs, l’identité d’une personne morale autour de laquelle s’assemblent ceux qui, dans les coulisses, sur la scène et dans les gradins, souhaitent partager leur passion pour le piano.

 

Cet été, à votre tour, vous arpenterez la longue nef d’arbres séculaires du Parc du Château de Florans au bout de laquelle les ramées mêlent leurs croisées à celles de la conque acoustique. Du bruissement des conversations se détacheront progressivement les sons de l’orchestre qui s’échauffe et, soudain, comme une annonciation, le chapelet interrompu de quelques notes de piano. Vous serez convaincus d’être enfin parvenu au bon endroit, au bon moment.

Entourée d’une équipe de professionnels, une petite armée de bénévoles s’est appliquée depuis des mois à préparer cet instant. Le festival soigne l’accueil de son public au moyen d’une scénographie respectueuse des lieux et une pléiade de services éco-responsables, également destinés à perpétuer une atmosphère naturelle et cordiale. Sa renommée résulte d’une programmation dont l’exigence de qualité ne faiblit pas et dont le contenu musical s’harmonise avec le paysage architectural qui l’accueille. Le directeur artistique René Martin et la famille Onoratini ont pris garde de préserver cette complémentarité d’influences, de respecter les « intentions de la nature » comme disent les biologistes quand ils veulent exprimer l’adéquation de l’organe et de la fonction. L’inscription de la musique dans l’environnement des multiples scènes du festival nimbe sa perception d’une dimension subtile comparable à celle éprouvée à la vue d’un retable que la vicissitude des temps n’a jamais pu déplacer de l’autel pour lequel le peintre l’avait conçu.

 

Suivez les pistes

Dans le cloître de l’Abbaye de Silvacane, une série de récitals de clavecin (Jean Rondeau, Pierre Hantaï…) et de piano (Vikingur Olafson, Francesco Tristano, …) entretiendront la flamme sacrée de la musique de Bach. Le magister maximus du compositeur surplombera passé et futur en regard de propositions judicieusement paramétrées dans l’histoire de la musique comme celle de Bruce Brubaker chaînant le Codex Faenza (XVe) avec les partitions de Philip Glass (XXIe).

L’ensemble Ricercar Consort s’emploie depuis 1981 à la revivification du répertoire baroque allemand et peut se prévaloir d’une interprétation charismatique du grand-œuvre du Thomaskantor et de quelques-uns de ses trésors moins connus tel le Tombeau de Sa Majesté la Reine de Pologne (BWV 198). Le dôme octogonal de Notre-Dame-de-l’Assomption à Lambesc servira de caisse de résonnance à la puissance expressive de cette œuvre. L’instrumentation plus que raffinée ne sera pas le moindre des paradoxes de cette oraison funèbre à l’image des memento mori dans lesquels les artistes présentaient, sous le regard vide d’un crâne, les fugitives beautés et les fragiles agréments d’ici-bas.

Changement d’ambiance. Aux Carrières de Rognes, la main de l’homme a découpé une entaille monumentale dans la tendre molasse. Cette pierre coquillée, outre les tons chauds qu’elle a communiqués aux belles façades aixoises, possède la qualité acoustique d’un matériau non réverbérant. La musique amplifiée bénéficie d’un cadre qui encaisse les watts et restitue le son avec une rare fidélité depuis le premier jusqu’au dernier rang du public. Sous la lumière des projecteurs, la colline taillée par la serpe d’un géant prendra l’aspect d’un temple mégalithique où l’on célèbrera les bacchanales du jeune jazzman indonésien Joey Alexander. Pour Richard Galliano, les Carrières se transformeront en embarcadère où l’accordéoniste nous invitera à prendre le large à bord du nouvel opus de Mare Nostrum, toujours accompagné par les harmonies étoilées du pianiste Jan Lundgren et les douces intonations du trompettiste Paolo Fresu. Plus encore que pour leur premier opus, les trois musiciens y apparaissent tout habités de la mélancolie de ces princes arabes dont le proverbe disait « Ils pensent à Grenade ». Âmes sensibles, ne pas s’abstenir.

Jazz également à Mimet où la scène, adossée au sobre frontispice de Château-Bas, se parfume des essences rares du parc botanique. Aux suavités que l’on respire se mêleront les fragrances bigarrées du duo de piano Ray Lema/Laurent de Wilde ou les notes plus acidulées du Trio Yaron Herman que nous avions apprécié en 2014.

Au cœur des villages du département, sur la route de la Durance aux Alpilles, des concerts gratuits de musique de chambre offerts par les ensembles en résidence viendront habiter le square, la place, la chapelle ou le terrain de boules pour le plaisir des petits et des grands, la joie de participer en famille à une fête de proximité.

 

La piste aux étoiles

Encore bien des lieux hébergeront d’autres évènements que ces lignes ne peuvent tous contenir. Mais c’est bien sûr à La Roque-d’Anthéron que s’accompliront les épisodes à l’échelle de la scène alpha du festival.

À commencer par le concert d’ouverture de cette trente-septième édition, dédié à la musique russe, pour lequel Boris Berezovsky jouera le second concerto de Rachmaninov (1901) avec la Philharmonie de Zuidnederland. Le toucher vif-argent du pianiste, devenu une figure de proue du festival, transmutera le célèbre adagio sostenuto, et les deux mouvements qui l’encadrent, en la délicate alchimie de lyrisme et de virtuosité qui a légitimement propulsé cette œuvre, accouchée par hypnose (1), au panthéon du post romantisme.

L’Orchestre Philharmonique de Marseille réservera une nuit à Brahms (deux concerts 20h et 22h) durant laquelle Plamena Mangova interprètera le premier concerto (opus 15) et Andrei Korobeinikov le second (opus 83). Ecrits tous deux à vingt-deux ans d’intervalle, ils marquent l’œuvre du compositeur de leurs bornes milliaires incontournables. Les deux pianistes et Lawrence Foster à la direction d’orchestre se livreront à cette mêlée de la forme et de l’idée, fougueux combat de Jacob avec l’ange dans l’œuvre du compositeur allemand, chez qui l’imagination la plus passionnée culmine toujours avec l’écriture la plus soignée dont les tournures rythmiques conservent cependant, comme le patriarche biblique, cet espèce de déhanchement blessé de ceux qui ont lutté avec l’inexprimable.

Accompagné par le Sinfonia Varsovia, le Trio Wanderer fêtera ses trente ans de carrière lors d’une nuit destinée à l’œuvre de Beethoven ; l’occasion d’un hommage à l’homogénéité de leur pâte sonore sublimée par une signature stylistique à nulle autre pareille. Le patronyme de l’ensemble évoque ce personnage que le peintre Friedrich a figuré de dos dans son Voyageur contemplant une mer de nuages (1818) qui semble suggérer : ne me regardez pas, ne m’écoutez pas ; regardez ce que je vois, écoutez ce que j’entends. Une communion à laquelle nous ne manquerons pas.

Avec quelques quatre-vingt-dix mille festivaliers attendus pour près d’une centaine de concerts pris dans le maillage du territoire rural et quelques incursions urbaines, La Roque étend encore sa précellence sur la cartographie musicale des pratiques festivalières de notre région.

 

Roland Yvanez

 

 

Festival International de Piano de la Roque d’Anthéron : du 21/07 au 19/08 à La Roque-d’Anthéron, Lambesc, Grodes, Marseille, Rognes, Mimet, Aix-en-Provence, Cucuron et Lourmarin.
Rens. : www.festival-piano.com/fr

Le programme complet du festival international de piano de la Roque d’Anthéron

 

 

Notes
  1. 1899, le Dr Dahl soigne la dépression du compositeur par des séances d’hypnose dans lesquelles il chuchote à son oreille « Vous composerez avec la plus grande aisance… Votre concerto sera d’excellente qualité… »[]