It’s going to get worse and worse and worse, my friend de Lisbeth Gruwez

Le Festival de Marseille 2016

Shakespeare est un Africain

 

Le Festival de Marseille, sous la nouvelle direction de Jan Goossens, emmène la danse sur des questions politiques, dans un brassage étonnant des cultures, pour mieux nous montrer l’état du monde et comment ce qui nous apparaît si lointain est, en fait, un miroir de notre propre culture.

 

Tout est métissage, mais rien ne l’est vraiment, ce qui est capté est réinventé pour devenir local. L’originalité du geste témoigne de la complexité des itinéraires et de la force des réappropriations. On ne parle plus de danse africaine ou d’art primitif, on parle de Macbeth tyran du Congo (Brett Bailey), car tout se brouille et se mélange dans un même instant. La danse convoque l’imprévu, le désordre, le chaos. Elle fragilise les repères et les constructions établies. Le texte vole un autre texte : « Cette histoire est la nôtre ! » Et tout n’est plus que collage et recommencement. Dans ce tourbillon de l’instant, la danse a de beaux jours devant elle. Avec Reggie Gray accompagné de Peter Sellars, on découvre le flexing, ou comment le corps remixe le hip-hop et le R’n’B dans un déhanché proche du suave, pour mieux laisser apparaître la question de l’origine et du conflit existentiel sur le sol américain. Chez Jérôme Bel (Gala), le danseur amateur se mélange au danseur averti pour confronter un même geste dans sa perfection et sa maladresse. Où se situe l’authenticité, qui est le plus proche de la vérité, qu’est-ce qui nous touche ? Les propositions s’additionnent dans un joyeux hasard et nous confrontent à nos sentiments, nous déstabilisent et nous interrogent à la manière du théâtre. Koen Augustijnen, Rosalba Torres Guerrero et Hildegard de Vuyst (Badke) poussent le métissage à l’extrême. Le son de l’Orient est remixé dans des basses d’aujourd’hui et le collectif frôle l’extase et la transe. La danse a le pouvoir d’abolir les classifications, entre rêve et utopie, elle tend ses bras pour saisir la main des faux ennemis. C’est dans cette hérésie et cette contradiction permanente que la danse trouve sa force. Elle ne s’interdit rien, elle parle si elle a envie de parler. Elle monte sur pointes pour mieux nous flatter (Three Studies of Flesh de Mélanie Lomoff), puis elle retrouve plus d’intimité et de sagesse, nous racontant son passé dans un jeu de marionnettes (Monument 01 d’Eszter Salamon). La danse ose la confrontation avec le tyran, le dictateur et le prêche pour mieux élucider la question de la non existence de Dieu (It’s going to get worse and worse and worse, my friend de Lisbeth Gruwez). Et pourtant, le monde ne va pas mieux, les richesses sont accaparées, la télé orchestre le salaire de la peur, les fanatiques crient à la gloire d’un empire perdu. Alors, la danse continue son petit bonhomme de chemin, dans une sarabande sans fin, où tout le monde se croise, s’engueule et s’embrasse. Et que la fête commence !

Karim Grandi-Baupain

 

Festival de Marseille : du 24/06 au 19/07 à Marseille (TNM La Criée, Klap, Théâtre Joliette-Minoterie, MuCEM, Théâtre du Merlan, Friche La Belle de Mai, Ballet National de Marseille et Théâtre Silvain).
Rens. : festivaldemarseille.com

La programmation complète du Festival de Marseille ici