Femme non rééducable © Jérémy F Marron

Femme non-rééducable de Stefano Massini par la Cie Souricière au Théâtre de Lenche

L’Interview
Vincent Franchi (compagnie Souricière)

 

Le Théâtre de Lenche ouvre une fenêtre sur l’histoire contemporaine. Femme non rééducable du jeune auteur italien Stefano Massini ravive la mémoire de la journaliste russe Anna Politkovstaïa, assassinée en 2006. Rencontre avec le metteur en scène de ce drame qui raconte en filigrane l’actualité d’un pays gangréné par la corruption et l’avidité du pouvoir en place.

 

En 2006, l’assassinat d’Anna Politkovskaïa ébranle le monde occidental et met le doigt sur l’un des conflits les moins monnus de l’histoire récente : la deuxième guerre de Tchétchénie. Pourquoi y revenir aujourd’hui ?
Dans la pièce, Anna Politkovskaïa se rappelle de la dernière année de sa vie. Quand j’ai découvert le texte de Stefano Massini, je connaissais à peine cette journaliste et l’histoire de la guerre de Tchétchénie. Ça a été le coup de foudre pour un texte qui tord le cou aux a priori. Cette deuxième guerre contre la population tchétchène va être menée par Vladimir Poutine en tant que nouveau président russe devant une communauté internationale aveugle, surtout après le 11 septembre 2001. Les Européens ont laissé faire une guerre qui donnera lieu à une épuration ethnique. Politkovskaïa n’a de cesse de dénoncer les exactions et est finalement assassinée en 2006.

 

Ce passage de l’histoire résonne étonnamment juste face aux heurts actuels…
Ce qui m’a plu, c’est que cette pièce ne parle pas seulement de la Tchétchénie mais aussi de nous. Elle nous ouvre sur l’extérieur et nous place devant notre responsabilité de citoyen, face à notre paresse et à notre repli sur soi aussi. Quelque chose y capte l’époque, montre les extrêmes, les racismes, les nationalismes exacerbés… Si des journalistes disparaissent, sont persécutés, c’est parce que le régime actuel ne veut pas laisser filtrer d’information. Poutine était très cohérent dans sa politique de récupération du territoire tchétchène, comme il l’est en Crimée. Seulement aujourd’hui, il n’existe plus de figure emblématique donnant un écho aussi concerné aux événements qui touchent la Russie.

 

Maud Narboni incarne Anna Politkovskaïa. Pourquoi était-ce évident à vos yeux ?
Nous avions déjà travaillé ensemble. Elle fait partie des rares comédiennes capables de prendre des risques sans hésiter, de celles qui « font la peau » à leur personnage. Elle va chercher des nourritures chargées d’émotion et de violence, ce dont j’avais besoin.

 

Le personnage se remémore sa dernière année de vie face à d’autres personnes. D’où votre choix d’un dialogue sur scène ?
Le travail de remémoration de l’actrice se fait à la manière de Proust, c’est-à-dire que le souvenir va retraverser le « présent du souvenir ». C’est la magie du théâtre, capable de faire revivre le passé sur les planches. Il fallait un contrepoids. Amine Adjina incarne ses interlocuteurs, tous des hommes (soldats russes, médecins tchétchènes…). Il est une extension de la mémoire de la journaliste, qui l’aide à préciser son souvenir.

 

Concernant le texte, vous insistez sur son caractère non militant. Pourquoi refuser l’étiquette de théâtre « engagé » ?
Ce n’est pas du théâtre documentaire militant et désincarné. Nous nous inscrivons dans le théâtre dramatique et concerné sans être donneur de leçons. Anna Politkovskaïa est montrée comme un humain avec ses doutes et ses ambiguïtés, sa non maîtrise parfois d’un égocentrisme presque mythologique. Massini dresse un portrait dans une tradition purement théâtrale, entre Antigone et Cassandre. Je suis pour un théâtre qui aborde le monde sans répondre aux grandes questions, mais en les abordant.

Propos recueillis par Sandrine Lana

 

Femme non-rééducable de Stefano Massini par la Cie Souricière : jusqu’au 26/10 au Théâtre de Lenche (4 place de Lenche, 2e).
Rens. 04 91 91 52 22 / www.theatredelenche.info

Pour en savoir plus : www.compagnie-souriciere.fr