La Mariée de Jean Le Gac

Esquisse d’une collection à la Fondation Vacances Bleues

Exquise esquisse

 

A la Fondation Vacances bleues, l’exposition Esquisse d’une collection invite dix artistes à renouer avec la collection par le biais du dessin, remontant le temps et marquant les étapes d’un médium qui ne cesse de s’émanciper de ses fondamentaux : le trait et le papier (1)

 

L’aspect intergénérationnel de l’exposition offre toute sa richesse à une collection élaborée au fil des années et des courants artistiques, et qui corrobore l’idée de déterritorialisation du dessin avancée par Thierry Davila. Emprunté à Deleuze et Guattari, ce concept décrit tout processus de décontextualisation d’un ensemble de relations qui permet leur actualisation dans d’autres contextes : « Il en va ainsi des nouveaux territoires graphiques dont l’efficacité procède des survivances de l’ancien, de la relance nostalgique et processuellement en rupture avec les lois qui règlent la pratique du dessin depuis des millénaires. »
Au fil de l’exposition et des générations, on voit le dessin s’affranchir de ses schèmes d’antan. Du premier geste de Butadès à aujourd’hui, le plus élémentaire des médiums aura gravi quelques échelons, pour évoluer dans sa forme et dans son fond, vers un art autonome et attractif. En témoigne le succès rencontré par Paréidolie, premier salon international du dessin contemporain à Marseille (les 30 et 31 août derniers au Château de Servières), dans le sillage duquel s’inscrit un cycle d’expositions, dont celle de Vacances bleues.
Françoise Aubert revisite la collection de la Fondation par la lorgnette du dessin en réunissant une dizaine d’artistes choisis parmi les quelque 146 que compte le fonds de Vacances Bleues. S’y côtoient ceux qui ont marqué l’histoire de l’art et celle de la Fondation, à l’instar de Jean Le Gac, et des nouveaux venus comme Mayura Torii. Les quarante ans qui les séparent donnent toute la mesure de l’évolution d’une pratique désormais délestée d’un certain classicisme. Fer de lance des mythologies personnelles (2), Jean Le Gac tentait dans les années 70 de rapprocher art conceptuel et peinture dans des autofictions énigmatiques. Le dessin y demeurait un élément aux ressorts formels classiques, mais dont la cohabitation avec d’autres éléments plastiques créait en son temps une nouveauté remarquable. Le dessin contemporain s’interroge quant à lui sur ses matériaux, ses formes, ses sujets et ses formats. En témoigne le travail de Mayura Torii, notamment L’impossibilité physique (aspirateur), représentation d’un aspirateur au crayon (trivialité du sujet) dont le long tuyau se déploie sur cinq feuilles. La jeune artiste joue sur les mots de ses titres et leur homophonie amusante comme dans Papier pain, focus sur une croûte à l’instar de celle exposée juste à côté.
Avec Plissés et pliés, Marie Ducaté emmène le dessin vers le volume et l’espace, utilisant le papier comme support non pas du trait mais du pli, de la lumière et du mouvement. Une longue feuille de calque se contorsionne sous la verrière, rappelant le coup de pinceau de Roy Lichtenstein, grande sculpture figeant le geste du peintre. Ici, le dessin se soumet à la matière du papier rehaussé de traits de peinture irisée, formant un papier-sculpture, exemple de ces nouveaux territoires dont parle Davila vers lesquels le dessin s’engage désormais. En témoigne également la sérigraphie d’Anne-Valérie Gasc, qui ne conserve de la tradition que la feuille et le graphisme. Elle rompt avec « l’aura » du geste primitif et de l’œuvre unique grâce au potentiel qu’offre la reproductibilité technique de la sérigraphie. Ce faisant, elle vient aussi contrebalancer l’idée qui fait du dessin un médium plus accessible pour le public compte tenu de son rapport sensuel direct entre l’artiste et le spectateur.
Chez Dominique Castell, le dessin connaît de véritables révolutions. Dans les outils d’abord, puisque l’artiste dessine à l’allumette (au soufre), mais aussi dans ses formats, multiples : le très grand, mis en scène dans des installations, côtoie le petit, qui trouve souvent un aboutissement dans la vidéo. Le passage à l’animation trouve tout son sens au regard de sujets évoquant le mouvement (le tango, le corps…).
Au fil des bureaux (3), les générations et les préoccupations artistiques se succèdent. Les accents surréalistes des colonnes ailées de Dominique Angel résonnent pourtant avec les petits personnages du dessin de Karine Rougier à l’entrée. Les générations, les références et les codes se mélangent et, devant les corps chancelants de Charles Gouvernet, on ne sait plus dire si l’académisme, qui semble faire fi des préoccupations contemporaines, n’en souligne pas au contraire toutes les voies possibles. Tout comme chez Julien Lévy, qui reproduit pour l’exposition ses carnets de croquis à l’identique : dessin, feuille, pliure du Moleskine reproduits en trompe-l’œil…
Le dessin aurait-il le pouvoir d’effacer les signes du temps et de remettre à plat toutes les pratiques artistiques ?

Céline Ghisleri

 

 

Esquisse d’une collection : jusqu’au 26/09 à la Fondation Vacances Bleues (32 rue Edmond Rostand, 6e).
Rens. 04 91 00 96 83 / fondation@vacancesbleues.fr

 

Notes
  1. A ce propos, lire Trait Papier – Un essai sur le dessin contemporain (éd. Atrabile, 2012) – publication autour de l’exposition éponyme au Musée des Beaux-Arts de La Chaux-de-Fonds[]
  2. Tendance apparue au début des années 1970, dans laquelle les artistes mettent en œuvre leur propre vie à travers leurs réalisations.[]
  3. L’exposition se déploie dans l’ensemble des bureaux de Vacances Bleues, comme dans les années 1990-2000[]