La place Jean Jaures qui s’appellait place St-Michel au début du siècle dernier © Club Cartophile Marseillais

Dossier : La Plaine – La Rénovation

Ceux qui ont voulu se l’approprier s’y sont cassé les dents. Déjà, sa francisation part d’une erreur : la Plaine, pour Lo Plan Sant-Miquèu (« le Plateau Saint-Michel ») en provençal, témoigne du manque d’intérêt porté sur ses usages et les gens qui la composent. Qui n’est donc jamais monté à la Plaine ailleurs qu’à Marseille ? Monter à la Plaine bien sûr, quelle banalité. A la Plaine, oui, le quartier autour de la Plaine… la place Jean-Jaurès, quoi.
Bref, si d’autres s’y perdent, beaucoup de monde s’y retrouve. Ainsi, au-delà de l’aura qu’elle dégage dans un centre-ville en proie au capitalisme sauvage, nous tenions d’abord à la remercier pour ce qu’elle est : à l’image de ceux qui la composent. Parce qu’elle héberge notre journal, mais surtout parce qu’elle nous permet encore d’y entrevoir un monde plus complexe que l’ignorance crasse à laquelle on est souvent confronté. Mais rien n’est jamais gagné pour La Plaine, qui est aujourd’hui l’objet de convoitise des spéculateurs via la « réhabilitation » de son poumon central. Rien n’est jamais gagné, mais son cœur bat encore, à l’image de son Carnaval indépendant, précieuse radiographie séculaire de toutes les subversions populaires. Rien n’est malheureusement jamais gagné pour la Plaine, mais rien ne la fait taire non plus. Ainsi, nous avons voulu, à travers cette modeste contribution, saluer ceux qui derrière les portes, les affiches, les associations, les comités et les marchés, se démènent pour la faire vivre au quotidien, qu’il vente ou qu’il pleuve. Et ce, selon leurs propres convictions.

Jordan Saïsset

 


Plaine de cœur

 

Le grand plateau populaire qu’est la Plaine, ou désormais la Place Jean-Jaurès, fait aujourd’hui l’objet d’un réaménagement enclenché par la Mairie… sans la consultation des habitants. Une « montée en gammes » en rabotant son marché ?

 

Est-il vraiment nécessaire de revenir sur le déroulé précis des moments de concertation ? Sur cette escroquerie des réunions dites « démocratiques » quand il est nécessaire de réserver sa place pour y assister, un peu comme l’on se rend au théâtre pour assister à un spectacle… Entre les bonbons et les questionnaires fermés, la nature de certains mots énoncés attise forcément le feu. Lors de la réunion de synthèse, les politiques et les aménageurs ont l’attitude d’un jury fantoche présidé par un ravi de la crèche, qui masque le refus de répondre aux questions de l’auditoire par des sourires incohérents. On y parle souvent « d’invariants », mais quels sont-ils réellement ? On ne sait même pas si les aménageurs le savent vraiment.
Ce qui est troublant ici, c’est la capacité à mettre de la distance entre le politique et le citoyen, cette incompréhension dans l’échange. Plus grave encore : comment ose-t-on parler « d’invariants » figés dans la construction des espaces ? On peut le constater à Marseille : les « actes urbains forts » sont souvent des échecs. La Rue de la République peut en attester. Et s’il y a bien quelque chose d’incertain, c’est le devenir des formes mouvantes de la ville. L’aménagement, c’est évoluer en milieu instable, composer avec des éléments que l’on ne peut jamais tout à fait maîtriser : sociétés, désirs, évolutions. On ne peut qu’en infléchir les directions sans jamais les enfermer dans des carcans stricts, sous peine de les étouffer. Imposer une « montée en gammes », c’est donc prendre les individus pour des abrutis, des incapables, en anticipant sur leurs envies et leurs devenirs.
Avant de se lancer dans les grands travaux, les décideurs devraient prendre soin des espaces de sociabilité où les milieux et les communautés se croisent, où les quartiers convergent aussi. La volonté affirmée de rénover la Plaine entraîne avec elle son lot de moyens méprisables pour créer un sentiment de déréliction, d’abandon poignant : éclairage défaillant sur la place et les rues adjacentes, manque de cohérence dans la disposition du mobilier urbain, désengagement dans son entretien. Il suffit pourtant de trottoirs moins hauts, d’un sol mieux pensé, et d’un lieu central fédérateur, dépourvu de grilles…
Espace libre, la Plaine fait donc l’objet de toutes les convoitises mercantiles qu’apporteraient son aseptisation et un lissage du marché. La municipalité semble sous-estimer le poids économique de ce dernier, et surtout son importance pour les personnes les plus défavorisées. Elle veut faire un marché « populaire » en lieu et place d’un marché de solderies. En vendant les fins de stock, les objets amochés dont la grande distribution ne veut pas, il permet en l’état une limitation de la consommation de matières premières et œuvre à une économie de moyens. Conserver le marché de la Plaine tel qu’il est demeure nécessaire à l’équilibre du centre-ville. Marseille la composite doit jouer de ces grands écarts entre les populations qui la composent, entre le marché paysan du Cours Julien et ceux, à quelques encablures, de Noailles et la Plaine. Ville monde, elle ne doit pas en oublier son identité portuaire que traduit un grand brassage humain. On en vient à se demander si les politiques de la ville y habitent ou l’ont déjà traversée. Leur légitimité, due à des tractations particulières motivées pas des intérêts monnayés, est instable. Comment peut-on les croire quand ils enlèvent les jardinières fleuries des terrasses de café, suppriment des moments festifs et réglementent les initiatives fédératrices, en bref, tous les éléments qui font qu’une ville est vivable ? La forme d’un centre urbain agit sur les comportements, sur les individus : environnement direct des habitants, elle contribue à leur éducation. Et si l’on ne peut imputer une responsabilité à l’architecture, il faut requestionner l’intelligence de ceux qui en tirent profit.
Nous sommes tous les acteurs de nos lieux de vies, on ne peut donc que constater avec tristesse l’échec de la concertation qui concerne cette réhabilitation. A Marseille peut-être plus qu’ailleurs, il faut donc agir pour promouvoir une démarche ascendante en matière de projet urbain. Quel meilleur lieu pour mettre en pratique une véritable implication citoyenne, où l’importance des comités de quartier n’est plus à démontrer ?
Marseille est la ville d’une grande liberté, mais dont les politiques ont du mal à en assumer la singularité. Si bien qu’ils préfèrent la piétiner. Alors que cette spécificité devrait pouvoir inspirer de nouvelles manières de concevoir l’espace public. Celui qui appartient à tout le monde cette fois.

BC

 

Rens. : https://www.facebook.com/profile.php?id=100010523882720&fref=ts

Pour plus de renseignements sur le déroulé des réunions, l’équipe de Primitivi a retranscrit les captations prises lors des séances de concertation : http://www.primitivi.org/spip.php?article700

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