Polluted Evidence © Kim Byungkwan

Dessine-moi une vidéo à la galerie Karima Celestin

Le mouvement pour dess(e)in

 

Karima Celestin poursuit son exploration de la vidéo avec une exposition consacrée au dessin en mouvement. Dessine-moi une vidéo déploie sur les murs de la galerie les propositions de cinq artistes internationaux apportant chacun leur pièce à l’édifice d’un médium en train d’écrire son histoire…

 

C’est désormais dans une sourde pénombre que l’on découvre les expositions de la galerie Karima Celestin, où les stores sont tirés pour offrir aux œuvres projetées les lumières tamisées de rigueur. Dessine-moi un dessin questionne les nouveaux rapports qu’entretiennent le dessin et la vidéo, les jeux qui s’opèrent entre leurs spécificités. Ceux entre le trait tracé sur un support papier présent physiquement et une image impalpable, projetée sur un mur ou un écran. Si le dessin s’anime, il n’en devient pas forcément du dessin dit animé, nomination trop connotée et peu utilisée dans les champs de l’art contemporain. Il intègre néanmoins ici des dimensions nouvelles (le mouvement, le temps) et gagne encore de nouveaux territoires… L’exposition propose de découvrir les facéties inédites que la vidéo offre au dessin, figé jusqu’à récemment dans les contingences de ses supports et de ses outils…
Dans son commissariat, Karima Celestin fait le choix d’un dessin au trait, duquel la couleur est proscrite, mettant en évidence le geste premier. Un dessin au contour noir dont on peut encore sentir le geste de l’artiste et le grain de la matière, comme dans les œuvres de Mohamed Bourouissa ou de Hyejin Kim. Ou un dessin numérique, pour lequel la machine décide d’une texture, désincarnant le geste pour une efficacité qui se joue sur d’autres critères.
On découvre tour à tour des œuvres jouant sur la matérialité des deux médiums. L’installation C’est la vie de Mohamed Bourouissa et Massinissa Selmani mélange deux degrés de réalité, deux supports et deux temporalités en une action qui réunit les différents éléments de l’œuvre. Les dessins animés de Massinissa Selmani interagissent avec la photo découpée et collée sur une feuille installée contre le mur par Mohamed Bourouissa. La feuille punaisée sur le mur révèle son volume et sa physicalité, tandis que la vidéo projette les images d’un homme retirant de sa chaussure un caillou qu’il lancera négligemment. La petite pierre vient se loger dans la basket et passe ainsi de la vidéo à la feuille. L’action se déploie sur les deux médiums, réunis dans cette petite narration, évocatrice d’une conception contemporaine, populaire et urbaine du mythe de Sisyphe. La fatalité du mythe étant ici symbolisée par la boucle de la vidéo qui répète immuablement l’histoire. Sont contenus aussi les prémices de la révolte qui pointe dans ce geste et dans cet objet…
L’engagement se fait plus explicite encore dans Histoires parallèles de Massinissa Selmani, reconnaissable à son trait vif et épuré : un dessin sans fioriture, à l’image du message de cette vidéo mettant en parallèle deux personnages en prière, puis sortant d’une mosquée. Tandis que l’un allume une cigarette, l’autre active la ceinture d’explosifs qu’il a autour de la taille. On retrouve le même encrage dans une forme d’actualité, de revendication et de prise de conscience chez Kim Byungkwan avec Polluted Evidence. Au mouvement s’ajoute ici le son, autre apanage de la vidéo, qui insuffle aux images un rythme frénétique, au diapason de la cadence haletante du morphing visuel. Une sensation de transe ou d’excitation, à la fois visuelle et auditive, survient chez le regardeur, littéralement saoulé par les images issues des références pop qui s’entrechoquent et se mélangent. Mickey et autres icones populaires défilent sur une composition digne des meilleurs morceaux d’électro.
L’œuvre d’Isabelle Lévénez, I’m Still Alive, joue avec les principes d’un temps rebroussé, incarné par le rembobinage vidéo. Côte à côte sont présentés un dessin, sur lequel l’artiste écrit la phrase éponyme au titre de l’œuvre, qu’elle répète et superpose jusqu’à noircir la feuille, en hommage à On Kawara. La vidéo est diffusée à l’envers, de sorte que le dessin disparaît peu à peu, le geste d’inscription devenant ici un geste d’effacement rendu possible par les moyens techniques de la vidéo. L’exposition s’engage alors vers une forme plus poétique du dessin, comme chez Hyejin Kim. Dans ses deux pièces, une petite fille joue avec les éléments de l’installation, la buée de son souffle venant par exemple opacifier les vitres du cube de plexiglas dans lequel est projetée la vidéo. Le visiteur finit son parcours sur une note sensible et douce comme le souffle virtuel de cette petite fille qui le regarde dans les yeux, comme pour l’inviter à partager son monde de pixels…

Céline Ghisleri

 

Dessine-moi une vidéo : jusqu’au 16/05 à la galerie Karima Celestin (25 rue Sénac de Meilhan, 1er).
Rens. : 09 73 54 24 37 / 06 28 72 44 24 / www.karimacelestin.com