Performance quasi-sociologique. Mise en scène : Ariane Loze. Texte : A. Loze & Nina Leger. Musique : Steve Argüelles
« Être heureux rend-il plus productif ? », interrogeait la première de couverture d’un magazine spécialisé s’adressant aux managers. En partant de cette étonnante question aux allures d’injonction, la vidéaste et comédienne Ariane Loze s’est penchée sur l’aliénation d’une panoplie de femmes-entrepreneuses fictives, qu’elle incarne toutes à tour de rôle, puis simultanément par le jeu d’un dispositif vidéo activé en live sur le plateau. À l’artificialité du lexique et des mantras néo-libéraux, se superpose celle du médium cinématographique, ici employé comme outil de dissection pour une étude de caractère quasi-sociologique, à la fois satirique et bienveillante. Au fil de cette conversation de table et par-delà les convenances, le tableau d’une condition contemporaine se compose, où le professionnel ravage le personnel, et où l’individu mène une danse solitaire sur un fil entre maîtrise de soi et détresse absolue.
Distribution
Mise en scène Ariane Loze
Texte Ariane Loze, Nina Leger
Inteprétation Ariane Loze, Enzo Addi, Steve Argüelles
Musique Steve Argüelles
Avec le soutien du Centre Wallonie-Bruxelles, Paris & Wallonie Bruxelles International
En coréalisation avec le Ballet national de Marseille
Ballet National de Marseille Les 02 et 3 oct. : sam 19h - dim 16h 8/12/16 € www.actoral.org
20 boulevard de Gabès 13008 Marseille 04 91 327 327
Article paru le mercredi 15 septembre 2021 dans Ventilo n° 450
Actoral 21
Le jour d’après
Pour sa vingt et unième édition, le festival Actoral se déploie dans ce qu’il sait faire de mieux, avec une programmation éclectique qui prend le pouls d’un XXIe siècle déjà bien installé.
Le jour d’après est devenu la dramaturgie de notre quotidien. Tout un chacun cherche le commencement d’une histoire dont il ne maîtrise pas les aboutissants. Le monde redevient un laboratoire d’hypothèses dont l’imagerie est incertaine, parce que les grands dogmes ont explosé. Actoral a construit patiemment un réseau d’ententes et de rapprochements qui offrent au devenir de la scène un champ infini des possibles. De la danse au théâtre, de la performance au music hall, l’interprète ouvre des portes et passe de l’une à l’autre dans une aisance proche de la respiration. À la manière de Fritz the Cat, la déambulation devient le lieu d’une rêverie et d’un fantasme inassouvi. Aucune morale n’est pas épargnée et tout se désintègre dans une reconstruction de l’instant. Dans le prolongement d’une expérience génétique, l’art se jette dans des propositions éparpillées, sans ordre préétabli, abolissant la norme et la norme mâle. Il en ressort des sentiments plus ou moins marqués, des souvenirs éparpillés qui ne laisseront qu’une infime trace dans le lointain, mais la dynamique de l’instant présent persiste et construit des relations et des réseaux pérennes, comme autant de plateformes sur lesquelles le travail peut se reconstruire. Actoral aime les success story (Jonathan Capdevielle, Gisèle Vienne, Miet Warlop, Valérie Mréjen), des artistes accompagnés depuis leur début qui deviennent des références. De par l’ampleur de sa programmation, les sujets brûlants de l’actualité ne manquent pas (le transgenre, le féminisme, le dystopique, l’immatériel). Mais il n’est pas question de forum et de débat d’idées dont raffolent les plateaux télé. Ici, le cheminement et la construction d’une pensée se cognent à la réalité de la scène et transcendent le corps de l’interprète. Un halo diffuse le passage du temps, l’odeur du doute, le questionnement du sexe, l’inconscient, la famille, l’argent, le pouvoir. Tout ce qui interroge l’humanité dans son essence et son devenir, dans sa culture et sa rupture.
Monument de kitsch et d’outrance au point d’être devenu culte, le film Showgirls montre l’ascension et la déchéance de son héroïne, une ancienne prostituée déterminée à faire carrière à Las Vegas. Galvanisé par ses précédents succès Total Recall et Basic Instinct, Paul Verhoeven a le champ un peu trop libre pour son époque et ne trouvera pas son public parmi ses contemporains qui, au contraire, raillent son film pour son mauvais goût. La carrière cinématographique de son interprète, la belle Elisabeth Berkley (aka Jessie dans la série pour pré-ados Sauvés par le gong) en fera ainsi les frais. Tout étant affaire d’époques, presque trente ans plus tard, le tandem Marlène Saldana et Jonathan Drillet réhabilite l’œuvre choc dans un spectacle mêlant Beckett et culture queer. Un monologue sur fond de pole dance donnant à entendre les injonctions les plus cruelles du film et le son électro de Rebeka Warrior (Sexy Sushi).
NB : L’auteur sera également au festival Les Correspondances de Manosque en rencontre avec Julie Ruocco le 25/09.
Elisabeth Gets Her Way de Jan Martens
Comme le dit Jan Martens, venir voir « un portrait dansé d’Elisabeth Chojnacka, une claveciniste polonaise qui vivait à Paris, décédée il y a quatre ans, vous pourriez penser “Ce n'est pas pour moi (je le pensais aussi)”. » Et pourtant, le chorégraphe flamand réussit une fois de plus à réinventer sa danse. Il nous fait découvrir, corporellement et avec des documents d’archives, des souvenirs de ses collaborateurs, cette incroyable artiste engagée et avant-gardiste, pour laquelle plus de quatre-vingts compositeurs (parmi lesquels Ligeti, Montague, Krauze, Xenakis, Finzi, Nyman…) ont écrit des œuvres ! Une musique complexe et intense dont les boucles répétitives font vibrer le corps de Jan Martens, à la manière d’un capteur de sons, une vibration électrique, un chaos de pulsations rythmiques… Ou, devenue plus fluide, une musique qui mute en une danse tantôt énergique, enjouée, puis « caresse », en opposition aux frappés rugueux des touches du clavecin. Une musique qui reprend le pas sur la danse et confirme une fois de plus le talent de Jan Martens pour nous surprendre avec génie.