Backyard + Sarah Winchester, opéra fantôme 

Deux films respectivement réalisés par Khaled Abdulwahed (Allemagne - 2018 - 26') et Bertrand Bonello (France - 2016 - 24'). Projections suivies d'un échange avec le philosophe Alain Badiou

Backyard
Soit une photographie, prise en 1998 en Syrie, d’un champ de cactus, plante connue pour sa résilience. La guerre et ses dévastations sont passées par là. Du champ, jadis espace familier de Khaled Abdulwahed, il ne reste, apprend-on, que cette photographie. L’enjeu va consister à conjurer sa perte, rejouer son souvenir. A cela s’emploie Khaled Abdulwahed, opérant dans Backyard le passage de l’un à l’autre, de la lente  métamorphose de l’image jusqu’à la réactualisation, à moindre échelle, du lieu représenté. Geste dérisoire, modeste, essentiel qui se double ici de celui d’interroger la mécanique à l’œuvre.
Ainsi va se déployer tout le processus de reconstitution, dans le moindre détail, geste après geste, opération après opération, jusqu’à la touche finale. Mécanique de la destruction et de la reconstitution en échos à d’autres mécaniques, celle de la mémoire et de ses substituts, celles du film et de la reproduction, celle aussi, versant sombre, qui a conduit à la destruction du lieu représenté. D’un paysage à sa représentation, zoomer, mettre au point, scanner, développer convoquent ici hélicoptères, bulldozers et autres tanks qui labourent le sol.
Passage du temps et déplacements, de la Syrie à Berlin, du champ à l’arrière-cour à la pénombre éloquente, au fond laquelle se joue la reconstitution méticuleuse, précise mais miniature, du lieu qui se déploie sous nos yeux. Mais à distance, sans vouloir faire illusion, avec au loin l’écho de la ville, les bruits de pas et autres présences, ici et maintenant. Geste farockien, interrogeant la technique de l’image, de sa destruction et de sa mémoire, depuis son arrière cour en quelque sorte, comme l’indique le titre. (NF)

Sarah Winchester, opéra fantôme 
Ça commence dans la pénombre. On la quittera peu, elle ira même s’accentuant. Un musicien, également metteur en scène, interprété par Reda Kateb, se tient aux consoles et teste ses sons : il est en répétition dans la salle de l’Opéra de Paris. De là, il dirige la danseuse étoile Marie-Agnès Gillot pour un opéra intitulé Sarah Winchester, inspiré de la vie de cette américaine à la destinée si singulière. Sarah est l’épouse du fils unique de l’armurier Winchester, connu pour la célèbre carabine à répétition, source de la colossale fortune familiale. Sarah va perdre sa fille Anne, atteinte d’une maladie dégénérative, puis son mari. Refusant la fatalité, Sarah consulte des mediums. Ceux-ci lui recommandent de bâtir une demeure pour accueillir les fantômes des disparus. En réponse à une proposition de l’Opéra de Paris, Bertrand Bonello s’est souvenu d’une riche et longue tradition cinématographique, celle, initiée par le roman éponyme de Gaston Leroux, d’un fantôme ayant pris loge dans ce haut lieu de l’art. Voilà donc les coulisses, le plateau, bien des recoins de ces lieux magiques hantés par l’histoire de Sarah W. Mais, écho redoublé à ce qui lie l’histoire de cette femme à l’architecture, ce film, d’une ampleur fort impressionnante en dépit de son économie, se présente comme la coquille propre à accueillir les formes fantômes d’un opéra et d’un ballet qui ne connaîtront pour existence que ce seul temps de recherches, d’hésitations qui se bouclent sur une danse sur place, purement intérieure : densité à vue.
(Jean-Pierre Rehm)

Cinéma Le Méliès
Le mercredi 1 avril 2020 à 19h30
4,50/6 €. Buffet : 7 €
http://cinemelies.fr
12 rue Denis Papin
13110 Port-de-Bouc
04 42 06 29 77