Des immeubles s’effondrent et des colonnes s’érigent. Les œuvres d’Emil David et Alexis Liger ont pour sujet commun les ruines et v estiges, stigmates d’un monde en sénescence. Sombres et mélancoliques, celles-ci se font les témoins d’un nouveau mal du siècle, flirtent avec la pensée romantique et sacrifient une certaine idée du progrès dans les arts. Par recyclage d’éléments visuels et à partir d’une iconographie 2.0, ils prennent part à l’invention d’une nouvelle esthétique où le déchet, le rebut sont mis en avant comme les symboles de notre époque dans une projection eschatologique.
Traversée par des forces contraires, l’œuvre d’Alexis Liger alterne entre ferveur et renoncement, violence et empathie, action et observation. Avec comme mode opératoire l’errance ou le vagabondage, il croise vestiges communistes, actualités consuméristes et futurs post-apocalyptiques à la recherche d’une « troisième voie ».
Dans ses œuvres graphiques et filmiques, il associe des contenus divers et disparates pour leur conférer une nouvelle narration. Dans la série Chatroom, l’artiste se réfère à ces peep shows virtuels où des amateurs anonymes remplacent les stars du X sur des plat eformes de vidéos online. Il décalque l’écran sur rhodoïd et joue avec la transparence du suppor t en superposant corps et décors déshumanisés, dépersonnalisés.
Sensible aux dualités entre l’Est et l’Ouest, il pour suit ses recherches avec УКРАИНСКИЙ ФИЛЬМ (Film Ukrainien). Le film, construit comme un itinér aire aléatoire le long de la Dniepr, est l’histoire d’une utopie morte, celle du communisme, mais aussi d’un rêve avorté, celui d’intégrer le modèle économique capitaliste. De Kiev à Tchernobyl, le film rend compte d’une mémoire chargée des bâtiments soviétiques, des gratte-ciels fantômes éclairés façon Las Vegas et de la nature glacée et irradiée, sur fond de pop music russe des années 1980.
Le travail d’Emil David est construit sur un imaginaire rétro-futuriste peuplé d’êtres hybrides et d’anciennes architectures qui par fois fusionnent ; réminiscence d’un univers lointain, uchronique. Dans l’espace, ses céramiques et peintures recréent le décor d’un monde en décrépitude. Des êtres isolés sont mis en scène dans des paysages en ruine. Les couleurs picturales soulignent la torpeur des corps et l’inertie du temps, comme pour mieux signifier un état de disparition.
Amphores, jarres, colonnes, les céramiques convoquent des formes antiques. Elles sont déstructurées, abîmés et raccommodées, façonnées par déchirement, agglomération, collage ou poinçonnage. Ces objets portent la mémoire de ces métiers oubliés et de t echniques perdues, négligées. En reproduisant de manière factice, l’usure du temps, l’artiste simule le vestige.
Les formes accumulent des traces d’époques passées, présentes, futures, telles des reliques, tandis que les figures sont « enflées », boursouflées, exagérées. Par la caricature, l’œuvre amène à un point d’équilibre et invite à penser le monde actuel : entre suspicion sociale, politique clivante et écocides, quelles ruines adviendront de notre temps ?
FIRST SIGHT est un cycle de 3 expositions dirigé par Elise Poitevin et Anne Vimeux qui présente une sélection des travaux — peintures, dessins, céramiques et vidéos — de 8 étudiants des Beaux-Arts de Marseille. Actualisant la problématique du « mauvais goût », cet événement témoigne des liens esthétiques qui se nouent entre les créations de ces jeunes artistes et le territoire où elles surgissent. Marseille — ville natale, d’accueil, de cœur — s’est construite en marge dans un pays où elle dénote par son caractère kitsch, populaire et non intellectuel. Elle invite, dès lors, à faire des stéréotypes qui la caractérisent, une marque puissante d’originalité.
Rory Launder