Le Corps à perte de vue

Vidéos

Et si nous perdions l’habitude de penser une exposition artistique comme un passe-temps culturel ou un espace où prenant pour prétexte de s’intéresser à l’art, on y vient surtout pour se faire voir et faire son marché de relations intéressées. Imaginons qu’un nouveau Mai 68 soit passé par là et qu’une tornade poétique nous ait métamorphosés. Nous ne sommes plus des consommateurs. Et là, quelle surprise : les installations vidéo deviennent des barricades érigées contre les assauts de la bêtise humaine, sectaire, identitaire. Soudain, nous devenons des errants prenant le risque d’être bousculés, émus, questionnés.
Cette exposition est agencée sur deux espaces. Celui du bas (Salle des Machines) rassemble des œuvres où le corps est absent. Signe des temps. L’ère de la dématérialisation. Celui d’en haut (R3), observe les corps dans tous leurs états.

L’absence de toute présence humaine dans un espace signifie-t-elle qu’il est vide, désertique ? Cela sous-entendrait que l’humain vit dans un décor, un environnement dont il serait distinct. Or, depuis que nous avons pris conscience que l’Homme n’est pas plus au centre de la planète que la Terre dans l’Univers, qu’il fait corps avec l’éco-système au même titre que la flore, la faune, l’air, l’eau et la terre, il n’est plus possible de considérer son absence comme un manque. Il est là sous son aspect invisible. Il existe à perte de vue.

PSL l’île bricolée (28’ loop – 2018) / François Lejault (France)
Rencontre avec un pays aux rivages si mobiles que son histoire s’invente et se raconte au fil des marches; un forage de couches sédimentaires d’identités reconstruites, qui suivent les dépôts successifs des Rhônes.
Une exploration des affleurements, des paysages mobiles, des singularités, battus par les vents d’hiver, illuminés par les mirages d’été.
PSL l’île bricolée est une enquête poétique sur les formes d’adaptation des hommes à des environnements mobiles, imprévisibles, et parfois hostiles. Une approche de l’histoire à travers les paysages et les corps que les profondes mutations économiques, écologiques ont transformé.

Untitled Painting #12 (from the serie “Paintings of Ecolonia”) (3’08 – 2018) / Carolina Jonsson (Suède)
Dans son œuvre, l’artiste explore les lien entre l’homme et les autres, les humains et la nature, le naturel et l’artificiel. Ici, une expérience physique et mentale est proposée au spectateur à travers la représentation d’une forme humaine intégrée à un paysage en chantier à la fois beau et inquiétant, familier et étranger, déconcertant. Sommes-nous en face à face avec un paysage détérioré par les hommes, ou plutôt dans une vision futuriste de notre monde en plein changement ?
Ce projet s’inscrit dans la volonté de l’artiste de développer un nouveau langage, un autre moyen de décrire la réalité à laquelle nous appartenons, afin de pouvoir mettre en lumière quelque chose de l’ordre du dissimulé, et de l’inavoué. « Ecolonia est mon langage, ma façon de décrire la réalité à laquelle nous appartenons. L’objectif est de détecter ce qui est caché, de m’ouvrir à l’inconnu. Ecolonia pose des questions existentielles profondes. L’œuvre résulte d’une expérience de la beauté, de l’intensité et du mystère, à la frontière de la réalité et de la fiction. »

Traversée (4’25 boucle – 2017) / Jeannie Brie (France)
Un terrain calme de campagne, une carte postale vidéo. Lentement un mur se construit et obstrue le paysage. Ne restent que les souvenirs de l’autre coté. Les nuages continuent leur chemin.

Transitions (12’48 – 2017) / Aurèle Ferrier (Suisse)
Un voyage qui conduit d’une vacuité civilisée du désert à une densité urbaine, capitaliste et hédoniste, qui prend une expression étrange dans le cas de Las Vegas. Ce film est une réflexion du vide, centré sur l’artifice, l’espace construit et conçu par l’homme.


Galerie de tous les possibles / Friche La Belle de Mai
Lun 11h-18h + mar-sam 11h-19h + dim 12h30-19h
Entrée libre
www.instantsvideo.com
41 rue Jobin
Friche La Belle de Mai
13003 Marseille

Article paru le mercredi 31 octobre 2018 dans Ventilo n° 417

Instants Vidéo Numériques et Poétiques

Vidéaux collectifs

 

« Caressez-vous »... Jamais mot d’ordre n’aura paru plus doux. Cette année, le festival Les Instants Vidéo fait fi des frontières en parlant une même langue étrangère. Pour sa trente et unième édition, l’événement qui se dédie à la poésie électronique souffle un vent exquisément rebelle, donne à voir des images engagées, transpire la singularité et charme le visiteur pour mieux l’enrôler. Pendant près d’un mois, les installations, performances et autres œuvres hybrides autour de la vidéo vont encourager un soulèvement populaire aussi bien culturel que novateur. L’art d’être rassembleur.

  Ouvrir la voie à d’autres cheminements de pensée, évoquer des réalités en cherchant à les refaçonner, éveiller des consciences endormies, combattre des situations gangrenées et faire triompher les sursauts de vie... Autant de perspectives et d’objectifs retrouvés dans l’édition 2018 du festival poétique et numérique Les Instants Vidéo. Une fois encore, ce projet associatif, qui se décline aussi bien dans la région qu’à l’international, permet de croiser différents supports thématiques en offrant à de nombreux artistes émergents une solide visibilité. Cette année, le festival se déroule dans trois pays (la France, l’Italie et l’Argentine) en investissant des villes aux cultures maousses telles que Rome, Milan, Marseille ou Buenos Aires. Au menu des festivités : plus de 240 œuvres présentées et des lieux d’exposition (onze à Marseille et sa région) toujours joliment diversifiés. Mais Les Instants Vidéo ont la (tenace) particularité de s’adresser à un public hétéroclite à souhait et de mettre en avant des structures sociales éphémères au nom du propos et de la créativité. Si la Friche La Belle de Mai reste un repaire confirmé, d’autres espaces consacrés par le festival seront à dépuceler. Quid des nouveautés ? Un opéra de trois jours, faisant intervenir suffisamment de mots, d’images, de sons et de couleurs pour ravir et griser les cœurs. Une première qui promet de refléter les valeurs de l’événement : idées sans cesse renouvelées pour défis brillamment relevés. Cette édition 2018 a été pensée selon deux références poético-historiques ciblées : les 2000 ans du célébrissime Ovide et le cinquantenaire de Mai 68. La vie change et se poétise, le monde évolue et se politise. À l’occasion des Instants Vidéo, les artistes mobilisés ont cette insoumission naturelle qui leur permet de piocher dans la chronologie passée avec une intention unanimement partagée : la destinée de l’homme n’est point figée, l’audace et le talent peuvent tout révolutionner. Ce sont d’ailleurs des « curieux » et visiteurs du monde entier qui sont convoqués. L’art vient ici délibérément les troubler... En détournant le slogan originel de Marx — les prolétaires sont devenus des humains et l’unisson une grande caresse collective ! —, les acteurs du Festival s’opposent à la mondialisation des flux financiers et exigent un système de libre circulation des désirs. Un blocus créatif de taille, qui s’empare des fléaux mondiaux pour mieux les étouffer. Marc Mercier, directeur artistique de la mnaifestation, a les mots pour le dire : « Dans un monde où les pays riches se transforment en forteresses, assassinant chaque année des milliers de migrants (...), il est grand temps que les humains de bonne volonté se soulèvent et accueillent avec tendresse ceux qui sont obligés de fuir leur pays. Le monde de demain sera créole ou ne sera pas. » Le but du festival n’est toutefois pas de détenir la vérité absolue, mais de partager un ensemble d’intuitions, de craintes et d’espoirs confondus pour rendre notre futur commun plus authentique et serein. Ici, la colère devient un chant porté tout délicatement par l’image et le numérique. Comme si le pire se muait en liesse et que la menace tombait pour l’allégresse. Le festival prescrit à son public assez de substance pour regagner en rêverie et en passion et ce, sans jamais le soustraire à sa raison. Se caresser, l’arme du « mieux vivre » en collectivité ? Le voilà, le grand frisson !  

Pauline Puaux

Instants Vidéo Numériques et Poétiques : du 7/11 au 2/12 à Marseille.

Rens. : www.instantsvideo.com/blog/

Le programme complet des Instants Vidéo ici