Sea of Desire

Collection de la Fondation Carmignac. Œuvres de Sandro Botticelli, Roy Lichtenstein, Andy Warhol, Gerhard Richter, Jean Michel Basquiat, Miquel Barceló, Bruce Nauman, Nicola Costantino, Kai Wiedenhöfer, Davide Monteleone, Nils-Udo, Jaume Plensa... Commissariat : Dieter Buchhart 

Sea of Desire : cette phrase, dont les mots se déploient sur la surface d’une grande peinture d’Ed Ruscha, attend les visiteurs en fin de parcours, dans la forêt. « Les mots ont une température » déclare l’artiste, « quand ils atteignent un certain degré et deviennent brûlants, ils m’attirent… ». La température des mots de Sea of Desire est chaude, elle bouillonne de sens et d’ambiguïtés. D’un côté, cette phrase exprime notre Eros et notre désir de beauté ; de l’autre, elle contient notre irrésistible attirance pour le drame, voire la destruction. 
Deux penchants contraires et indissociables qui sont à l’œuvre dans un magistral roman d’anticipation, écrit non loin de Porquerolles, à Sanary sur Mer, en 1931 : Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley. Ce monument de la littérature pressentait les profonds changements de société dus aux nouvelles technologies, à la propagande et la manipulation des esprits. Trente ans plus tard, Huxley revisita son œuvre et vit que le monde accomplissait sa prophétie à haute vitesse : un monde séduisant qui contente les masses, mais qui se révèle rongé et manipulateur sous la surface. La société contemporaine ne fait que confirmer ces sombres prophéties.
Il y a cinquante ans, en France, en mai 68, il y eut un réveil, un sursaut. L’élan de protestation et de désobéissance civile a signifié le surgissement de nouvelles libertés et le bousculement du vieux système. Si l’exposition Sea of Desire ne jette pas des pavés, comme en mai 68, elle confronte le regardeur à des œuvres d’art qui le défient avec un appétit de révolte, de liberté et de recherche de beauté. 
Sea of Desire  est conçu comme un voyage guidé par le fil du désir, qu’il faut suivre pour se perdre, dès le premier escalier qui vous emmène sous la surface. Artistes en « rébellion » se répondent d’un siècle et d’un support à l’autre, au long des huit chapitres qui structurent le parcours, de « Pop Icons Reloaded » à « Brave New World Revisited » : Sandro Botticelli, Roy Lichtenstein, Andy Warhol, Gerhard Richter et Jean Michel Basquiat, avec d’autres artistes plus jeunes, dont les voix émergent avec force.

Fondation Carmignac
Tlj 10h-18h (10h-19h en septembre)
0/15 € (+ navette maritime)
www.fondationcarmignac.com/
Piste de la Courtade
83400 Hyères
04 95 04 95 94

Article paru le jeudi 20 septembre 2018 dans Ventilo n° 414

Sea of Desire à la Fondation Carmignac

Tout un Art à vivre

 

Inaugurée début juin, la Fondation Carmignac nous plonge dans une collection privée aussi incroyable qu’accessible, comprenant des œuvres mythiques. Une promenade idéale entre villa et jardin à faire avant la fin des beaux jours et qui vous aidera à aborder l’automne avec joie.

  « La mer a des bornes mais le désir n’en a point », écrivait William Shakespeare dans Vénus et Adonis. Assisté de son fils Charles, Édouard Carmignac, ponte de la finance mondiale et créateur du Prix Carmignac Gestion du photojournalisme, ne se lasse pas d’être transporté par l’art. Et nous avec… L’air chaud marin, le parfum des pins, le bruit des graviers, une IPA glacée… L’ancienne ferme (qui apparaît dans Pierrot le fou de Godard) rénovée par l’architecte Henri Vidal et le parc de quinze hectares sur site classé, agencé par le paysagiste Louis Benech, offrent l’illusion de se sentir chez soi. Le bar-restaurant, contigu à la demeure, propose une carte appétissante pour différentes bourses ; le domaine viticole de La Courtade, qui s’exerce à la biodynamique, y diffuse ses crus solaires en bouche. Tout est conçu pour laisser parler les anges et les démiurges, s’ancrer dans le sel de la terre. Il s’agit d’être soi-même. « Liberté » est le maître mot de cette expérience ; d’ailleurs, la visite s’effectue pieds nus à la surface des 2000 m2 de salles d’exposition. Le public a donc d’emblée une option de recentrage au sol. Les dalles froides nous rappellent combien nous sommes vivants et doués d’une infinité de sens. L’aventure a d’ores et déjà commencé et sa capacité à nous émerveiller ne fera que s’accroître. Quelles que soient les références et quel que soit le chemin de traverse, dedans, dehors, cela provoquera en nous l’amorce d’une bombe artistique… La qualité scénographique s’avère indéniable (Dieter Buchhart en est le commissaire) : derrière chaque module de cet immense espace, scindé en huit thématiques, s’enchaînent de multiples trésors. L’installation de Bruce Nauman One Hundred Fish Fountain nous apaise d’entrée. Ses 97 poissons de bronze en apesanteur forment un bassin surréaliste et nous immergent dans un premier sas de méditation. La collection arpente les âges et les histoires avec goût et élégance. Parmi les œuvres phares, on compte le Lenin et le Mao de Warhol, le Saint Fallen Angel de Basquiat qui nous met carrément en vrac, une Evelyn de Richter qui se perd dans son bleu, de nombreux tableaux de Lichtenstein (presque trop ?), la sculpture de l’entrée et la fresque de Barceló qui sédimentent de façon magistrale une approche organique insulaire. Enfin, une Vénus sublime, inouïe de grâce et de sensualité : un aimant. Amante de Botticelli dont on ne se remettra jamais sauf si un jour elle effleure les murs de notre salon… L’effet subaquatique du plafond de verre émet un jeu d’ombres et de lumières : le voyage épique perdure particulièrement à travers la photographie. Ici, on s’attardera sur le cliché de Nicola Costantino avec le laboratoire de son double, le visage borgne de Miriam Al Shafi par Kai Wiedenhöfer (Prix du photojournalisme avec Gaza en 2009) et les mariages tchétchènes de Shatoy par Davide Monteleone (primé en 2013, son opus Spasibo a été soutenu par la fondation). Des clichés du réel, qui sans clichés, ne nous laisseront pas indifférents. En extérieur, outre une recherche botanique en devenir, on retiendra La couvée d’œufs de marbre de Nils-Udo et les trois alchimistes monumentaux de Jaume Plensa. Les artistes internationaux ont séjourné en résidence dans la villa afin d’y placer judicieusement leurs réalisations. Autant de raisons de s’offrir une dernière virée estivale à Porquerolles.  

Zac Maza & Marika Nanquette

 

Sea of Desire : jusqu’au 4/11 à la Fondation Carmignac (Île de Porquerolles, Hyères).

Rens. : 04 89 29 19 73 / www.fondationcarmignac.com/fr