Liv Jourdan et Mathis Pettenati - The Third Garden 

Peintures

Le Frac invite Liv Jourdan et Mathis Pettenati, récemment diplômés de la Villa Arson, à investir son plateau expérimentations. 1+1=3. Composant un milieu pictural visité par les formes du vivant, les deux artistes nous plongent au cœur d’une symbiose fantasmée, convoquant les différents sens. Se manifestant par éclosions multiples, la peinture touche aux flux du vivant, au tissu des lisières, à l’enroulement des rocailles. Elle finit par donner naissance à une nouvelle forme : celle d’un jardin commun tendant vers le mutualisme. Les différentes représentations d’un monde vivant en mutation, parfois parasité, dialoguent ici et ouvrent un champ de lecture en trois temps. Si les pratiques des deux artistes s’affirment dans leurs singularités, il est ici question de les observer vivre ensemble.

 

Liv Jourdan, née en 1988, vit et travaille à Nice. Diplômée de la Villa Arson en 2021, elle a également suivi un parcours en psychologie clinique et pratique le théâtre. Ses recherches pluridisciplinaires l’amènent à aborder la peinture dans son champ élargi, à travers une fluidité sensorielle et une esthétique des lisières aux confins des arts sonores, de l’olfaction et de la poésie. Engagée dans les nouveaux récits de l’anthropocène, elle explore les relations entre élans ornementaux et psychologie du lien, entre affects et mondes du vivant. « Je m’inspire de recherches sur les symbioses, les mutualismes et les parasitages pour donner forme à des milieux ornementaux qui touchent les différents sens. Les dynamiques ornementales, hybrides entre figure et abstraction, m’évoquent des phénomènes d’énergies, d’échanges, de liens qui sont au cœur du vivant, des relations entre humain.e.s et non humain.e.s. Ce sont ces strates d’interconnexion qui m’intéressent » Liv Jourdan.

 

Né en 1997 à Toulouse, Mathis Pettenati vit et travaille à Bruxelles. Issu d’une pratique de dessin et d’impression, il a commencé à peindre à la fin de son cursus à la Villa Arson dont il est diplômé depuis 2021. Il est lauréat du prix de la Francis bacon MB Art Foundation 2021. Sa peinture, qu’on pourrait aujourd’hui qualifier de « painterly painting » se déploie sur grands formats et en série. Habités par des motifs végétaux difficilement identifiables, les tableaux de Mathis Pettenati se construisent spontanément dans l’atelier en suivant des règles énoncées par l’artiste.
« Il y a beaucoup de formes organiques dans mes travaux et j’aime bien me dire que le cycle de la peinture et le cycle du vivant sont mis en parallèle. Ça commence par une idée qui germe, qui peu à peu se répand sur la toile, fleurit puis se retrouve infestée de champignons. C’est le moment de passer à un autre format. Il y a aussi quelque chose d’aliénant dans le fait de peindre les mêmes images « en boucle ». J’oublie presque le sujet du tableau à force de le répéter. »
Extrait d’un entretien entre l’artiste et Vittorio Parisi, commissaire de l’exposition Timeline of a Fruit Puddle (Villa Arson 2022) ».


FRAC Sud - Cité de l'art contemporain
Jusqu'au 11/06 - Mer-sam 12h-19h + dim 14h-18h
2,50/5 € (gratuit le dimanche)
http://www.fracpaca.org/
20 boulevard de Dunkerque
13002 Marseille
04 91 91 27 55

Article paru le mercredi 29 mars 2023 dans Ventilo n° 479

The Third Garden de Liv Jourdan & Mathis Pettenati et Hamish Fulton, A Walking Artist au Frac Sud

Nature peintures

 

Pour marquer le coup de ses quarante ans, le Frac ouvre ses portes en grand avec trois nouvelles expositions — et un petit changement de patronyme en prime. The Third Garden de Liv Jourdan et Mathis Pettenati prolifère en tous sens, olfactifs, visuels et sonores ; tandis qu’Hamish Fulton, A Walking Artist, expose les artéfacts de ses cheminements, en lieu et place de ses œuvres monumentales de plusieurs milliers de kilomètres de long.

    Hamish Fulton a marché parmi beaucoup des plus imposants espaces encore sauvages. Ce qu’il en restitue sur le plateau « explorations », ce sont des grandes peintures murales, des vinyles aux murs, des photos de paysages barrées de typographies très succinctes et des pièces en bois. Depuis plus de cinquante ans, le marcheur aux soixante-dix printemps bien tassés foule le monde, laissant derrière lui le moins de traces possibles, excepté peut-être — un paradoxe qu’il pointe lui-même — celles des impressions vinyles pas durables pour un clou collées au sol et aux murs du Frac. Mais de toute façon, c’est derrière ces œuvres minimales que pointe son véritable art, à cheval entre le conceptuel et la performance : la marche. Il a parcouru le monde sans lever le pied même après ses plus hauts sommets, il a respiré l’air de zones réputées impénétrables. Mais ici, aucune trace de ses prouesses sportives, de ses citations les plus inspirées devant les panoramas les plus époustouflants. Par exemple, on sait seulement que l’une de ses marches parmi les plus insolites a nécessité d’être très lente. Pour éviter de déranger les lignes que tracent les énigmatiques et millénaires géoglyphes de Nazca, dans le désert péruvien, il a pu marcher, mais très précautionneusement, sur ces étonnants chemins-contours qui forment les figures identifiables seulement depuis les airs, avant que leur accès soit totalement interdit (c’est un crime de s’y rendre, désormais). Pour toute restitution de l’aventure quasi mystique, une simple affiche au fond couleur sable qui annonce en lettres capitales : « Walking slowly on the condor’s utline Nazca desert Peru 1972 ». L’expérience de son passage, dont l’incidence a été la plus minime possible, synthétise tout autant la représentation qu’il nous en donne. Jouant sur le contraste entre son minimalisme et les clichés attendus des souvenirs de voyage et des anecdotes qui toujours les accompagnent, son œuvre porte un engagement politique incisif. Dans ses artéfacts, il y a bien des références, contre, par exemple, la prise de contrôle chinoise sur le Tibet, ou sur le réchauffement climatique ostensible, sobrement mis en constat par un graphisme qui évoque l’absence de neige en 2022 dans le Mercantour, alors qu’elle était bien présente lors d’une marche à l’itinéraire identique en 2011. Mais évidemment, le walking art, c’est surtout une forme de militantisme, l’application d’une philosophie, et pour Hamish, un manifeste d’écosophie. La marche trouve ses bénéfices parce qu’elle permet de remettre en question la prévalence humaine sur ce qui l’environne, en recréant des interactions, des connexions ; « Walking encourage thinking and facilitates talking », illustre-t-il. Une marche peut être solitaire, collective, extérieure, intérieure, silencieuse ou bruyante, contestataire ou tranquille... et autant de modalités pour autant de portées, ça s’exprime mieux par l’expérience. Pour Hamish Fulton, il s’agit non seulement de voyager, de se « déconditionner de la vie en intérieur », de décentrer son attention, mais en particulier de considérer enfin ce qu’on pensait « insignificant ». Comme si un « simple » insecte avait tout à coup taille humaine, par exemple. Quelques étages plus hauts, plateau « expérimentations », Liv Jourdan et Mathis Pettenati étudient et reproduisent les lois et les interrelations du vivant qui s’expriment les quelques fois où certaines zones d’activité se trouvent libérées des interventions humaines. S’attachant elle aussi à apprendre de l’environnement au-delà de l’anthropocentrisme, leur exposition présente des peintures sur châssis de Mathis Pettenati, ou l’un de ses collages faits de tickets de caisse et reçus divers en fameux papier thermique, connu pour affadir ses inscriptions une fois un peu trop exposé à la lumière. Chauffés par endroits, les tickets mis en rangs figurent un palmier, voué lui aussi à s’effacer avec le temps et l’exposition, l’état primaire reprenant petit à petit ses droits. Les papiers sont carrément brûlés par d’autres endroits : derrière les listes de produits Carrefour, Zeeman ou Française des Jeux apparaissent des petits morceaux de paysages, certains « naturels », d’autres « industriels ». À côté de ses innombrables sommes de ces encore plus incalculables produits de l’usinage humain ironiquement mis en forme du symbole végétal par excellence (l’arbre), il y a une grande installation de Liv Jourdan, avec drapés teintés de pigments naturels, « socle » de terre et petites céramiques cuites, parterre de feuilles en train de faner, et peintures murales faites d’encres végétales et d’argiles. Abstraction et motifs figuratifs se lient, jaunes curcuma, gris argileux et roses doux s’entrelacent. L’ensemble, un réseau avec composition olfactive à dénicher et nappe sonore aux harmonies bien pensées, fait mouche. Leur inspiration vient des zones d’activités humaines désertées mais qui se retrouvent loin d’être inhabitées de faunes et flores. Au contraire, elles en arrivent archi-riches ; c’est ce que le paysagiste-écrivain Gilles Clément appelle un « tiers paysage » (clin d’œil au nom de l’expo). À voir leurs œuvres, ce phénomène est éloquent et gagnerait bien à se répandre encore : il y fait meilleur vivre.  

Margot Dewavrin

 
  • The Third Garden de Liv Jourdan & Mathis Pettenati : jusqu’au 11/06, plateau expérimentations du Frac Sud – Cité de l’art contemporain (20 boulevard de Dunkerque, Marseille 2e).

  • Hamish Fulton, A Walking Artist : jusqu’au 29/10, plateau explorations.

Rens. : 04 91 91 27 55 / www.fracsud.org