Bernard Aubertin - À feu et à sang

Monochromes

Né en 1934 à Fontenay-aux-Roses, Bernard Aubertin étudie les Arts Décoratifs. Peintre figuratif au milieu des années 1950, il se sent dans une impasse picturale. C’est sa rencontre avec Yves Klein en 1957 où il vit un véritable choc émotionnel qui va être un tournant décisif dans son orientation artistique. Il décide lui aussi de s’attacher à la couleur unique et pure, meilleure façon de se libérer du geste forcément subjectif du peintre. Pour lui ce sera le rouge, symbole du sang, du cœur et de l’élément Feu, le rouge enraciné à la terre en fusion, au concret, au réel.

Il réalise dès 1958 ses premières séries de monochromes rouges. Cette couleur se ressent physiquement dans ses œuvres et il l’enrichit en travaillant différentes textures (clous, boulons, vis, fils de fer, copeaux de bois, éponges...) où la lumière vibre avec la matière. Il structure et organise l'espace du tableau avec la plus grande rigueur pour créer à chaque fois, un « moment de la réalité picturale ».

« Le monochromiste aborde l’action créatrice dépouillée de son Moi. Il tend à la clarté absolue en gommant sa personnalité. La monochromie exprime l’art du sublime abstrait ». Bernard Aubertin

L'EXPOSITION À FEU ET À SANG SE DÉCOUPE EN QUATRE GRANDES THÉMATIQUES : LE ROUGE, LE FEU, L'OR ET ENFIN LE NOIR ET BLANC.
LA PROPOSITION DU COMMISSAIRE JEAN BROLLY SE VEUT UN CONDENSÉ DE L'ŒUVRE DE BERNARD AUBERTIN COMPLÉTÉ PAR UNE DOCUMENTATION SUR LA VIE DE L'ARTISTE.

Bonisson Art Center
Jusqu'au 13/02 - Jeu-dim 13h30-18h30
Entrée libre
www.bonisson.com
177 routes des Mauvares
13840 Rognes
04 42 66 90 20

Article paru le mercredi 15 dcembre 2021 dans Ventilo n° 456

Bernard Aubertin – À feu et à sang au Bonisson Art Center

Le coin du miroir ((Créée par Xavier Douroux et Franck Gautherot au sein des structures alternatives des années 70, l’association Le Coin Du Miroir gère le centre d’art contemporain dijonnais Le Consortium depuis la fin des années 70.))

 

Installé au cœur de la campagne aixoise, le Bonisson Art Center réunit les amateurs d’art abstrait et les œnophiles. Au-delà des liens qui unissent communément l’art et le luxueux marché des bonnes bouteilles, le maitre des lieux dépasse les clivages et tente un vrai travail d’irrigation en ancrant son projet artistique dans un territoire.

    C’est à Rognes que Christian Le Dorze et sa famille ont élu domicile et rachètent il y a quelques années le Château Bonisson, sur lequel il exploite, avec sa fille, dix hectares de vignes en appellation AOC Coteaux d’Aix-en-Provence. Un projet écosophique, inscrit dans une déontologie qui promeut un vin en agriculture biologique « de qualité, d’authenticité, de naturalité et de partage. » Mais c’est moins le domaine viticole que la possibilité d’y établir un conséquent white cube de 300 m2 qui séduira Christian Le Dorze lors de sa visite au Château Bonisson. Bourguignon d’origine, le propriétaire, « médecin entrepreneur de talent » comme titre un journaliste, raconte son initiation à l’art contemporain, issue d’une rencontre avec Xavier Douroux et l’équipe du Consortium de Dijon. Nous sommes dans les années 80, Xavier Douroux est alors l’une des personnalités les plus importantes du milieu de l’art contemporain en France. Il expose des artistes de renom comme Olivier Mosset, Daniel Buren, Christian Boltanski, Bertrand Lavier, et accompagne les premiers pas de Yan Pei-Ming, Pierre Huygue, Liam Gillick, Philippe Parreno, Dominique Gonzales Foerster, Sarah Morris ou Mark Handforth. Théoricien (L’Art sans le capitalisme), commissaire (Biennale de Lyon C’est arrivé demain) et directeur de lieux incontournables (le Consortium et la Fondation Vasarely), Xavier Douroux est un homme de conviction, porté par une certaine idée de l’intérêt général et du bien commun. Il s’engage dès la première heure dans le programme des Nouveaux commanditaires((Programme de commande publique de la Fondation de France)) au côté de son ami François Hers, et rappellera souvent qu’il faut initier les chefs d’entreprise à l’art contemporain et les inciter à s’y investir… C’est donc de toute une philosophie dont hérite Christian Le Dorze, au contact d’un mentor qui lui aura permis de faire la connaissance des plus grands artistes de notre époque, mais qui lui aura surtout transmis une certaine conviction du bien-fondé de la démocratisation de l’art. Certes, l’art contemporain est collectionné, il fait parfois l’objet de spéculation financière et sert aussi à la défiscalisation des plus grosses fortunes du monde. Mais n’omettons pas de rappeler qu’il est également enseigné dans toutes les écoles de France grâce aux chemins tracés par le PEAC((Grand projet d’Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, le parcours d’éducation artistique et culturelle (PEAC) met en cohérence la formation des élèves du primaire au secondaire, et sur l’ensemble des temps éducatifs : scolaire, périscolaire et extra-scolaire. Éducation à l’art et par l’art, le PEAC s’appuie sur trois piliers : les enseignements artistiques, les rencontres avec les artistes & les œuvres, et les pratiques artistiques.)), le parcours d’éducation artistique et culturelle, particulièrement important dans ce qu’on appelle les « zones blanches » comme la campagne rognenque, des territoires ruraux éloignés de l’offre artistique et culturelle. L’importance de cette éducation artistique, au-delà de la question culturelle, contribue à former le citoyen de demain en développant ce que Martha Nussbaum nomme les émotions démocratiques((Martha Nussbaum, Les Émotions démocratiques (Flammarion))) : éduquer les enfants à l’empathie et la compréhension de l’autre grâce à l’œuvre d’art et en appuyant notre système éducatif sur l’enseignement artistique. Christian Le Dorze est donc un collectionneur, un grand amateur d’art géométrique, d’art optique et cinétique, mais c’est surtout lui qui se charge de transmettre aux enfants des écoles de Rognes et des environs sa passion, en s’adonnant à l’exercice de la médiation pour les œuvres lumineuses de Michel Verjux, les anamorphoses de Georges Rousse ou les tableaux de Bernard Aubertin avec une grande pédagogie… Depuis son ouverture il y a près d’un an, le centre d’art décline une programmation ancrée dans l’histoire de l’art abstrait auquel le Bonisson Art Center offrira au fil des années un écrin prestigieux. Il le dédie à des formes artistiques moins promues par les centres d’art ces dix dernières années parce que l’époque actuelle valorise moins un art qui interroge ses propres formes qu’une œuvre qui participe au tumulte sociétal. On retrouvera ainsi au Bonisson Art Center différentes expositions dédiées à un art qui dans ses origines se pensait révolutionnaire, étendard d’un langage universel, combattant les discriminations que représentent encore aujourd’hui l’absence de références et le manque de manipulation du langage plastique et iconographique de l’art figuratif. L’art abstrait, le constructivisme se voulait être un art pour tous, il s’appréhendait au temps des avant-gardes russes sans connaissances préalables...  
« L’art n’est pas expression mais connaissance, on n’a pas quelque chose à dire, on peut seulement être. » — Bernard Aubertin
  Les quatre salles du centre sont actuellement dédiées à Bernard Aubertin, figure emblématique du groupe ZERO((Groupe avec Otto Piene, Heinz Mack, et Günther Uecker)), dont le commissaire, le galeriste Jean Brolly, a accompagné l’artiste pendant une dizaine d’années. À feu et à sang présente les séries emblématiques des tableaux rouges flamboyants, feu, or... Le spectateur y découvrira l’approche sensuelle et textuelle de la peinture dans des monochromes qui peuvent se décrire comme des tentatives de rendre compte de la matérialité de la peinture, des expériences entre les éléments, la couleur et la matière lorsque celle-ci est appliquée à la spatule, au dos de petite cuillère, ou agencée en réseau linéaire par l’ordonnancement de clous ou d’allumettes. Aubertin aura lui aussi fait une rencontre décisive, en 1956, lorsqu’il est invité dans l’atelier d’Yves Klein et tombe dans les abîmes de la couleur pure, « Aussi belle que dans le pot », disait Frank Stella… Si le Bonisson Art Center a déjà fait sa place dans les parcours de l’art contemporain de la région, en intégrant notamment le réseau Plein Sud, il annonce une programmation ambitieuse, qui s’appuie essentiellement sur des artistes historiques. On y retrouvera prochainement l’artiste argentin Julio Le Parc, membre du GRAV((Groupe de recherche d’art visuel)), l’un des maitres de l’art cinétique dont on se souvient de l’exposition au Palais de Tokyo en 2013. Gageons que le centre d’art saura associer l’histoire de l’art à la création contemporaine et faire ruisseler sur les artistes du territoire l’aura des maitres de l’art abstrait.  

Céline Ghisleri

 

Bernard Aubertin – À feu et à sang : jusqu’au 13/02/2022 au Bonisson Art Center (177 route des Mauvares, Rognes).

Rens. : 04 42 66 90 20 / www.bonisson.com