Falaise

Fresque monumentale entre théâtre, danse et cirque par la Cie Baro d'Evel (1h45). Écriture et mise en scène : Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias. Dès 8 ans. Prog. : Les Théâtres / Théâtre du Gymnase HLM

Pièce en blanc et noir pour huit humains, un cheval et des pigeons.

 

Dans l’obscurité des cavernes, le son était pour les hommes une boussole, la lumière qui les guidait dans l’aveugle, le chant qui éclairait contre les parois. Il fallait crier pour se repérer. Il fallait chanter pour éclairer le noir. Ici aussi, ça crie, ça cherche, ça tâtonne. Ça avance du mieux que ça peut dans le tunnel de l’époque. Difficile de savoir si c’est le pied du mur ou le sommet du monde, si la vie y meurt ou si elle renait. Mais ça chute et ça se relève avec la même évidence, avec la même innocence, avec la même insistance. Ça veut s’en sortir. Coûte que coûte. C’est nombreux. C’est un troupeau. C’est une foule. Presque une famille. Et dans les interstices d’un monde en ruine, ça invente du nouveau. Une autre fin du monde est possible – elle a même commencé. Voilà ce que disent ces corps. Ceux de la vie qui luit, ceux de la vie qui cogne.

Deuxième volet du diptyque, après Là, Falaise n’en est pas vraiment la suite. Mais plutôt l’envers. Son véritable endroit. Nous sommes passés de l’autre côté du mur, de l’autre côté du monde. Cette vie grouillante qui débordait des parois. La voilà devant nous. Inquiète. Fragile. Obstinée. Têtue. Plurielle. Elle n’en a pas fini.

 

 

Auteurs, metteurs en scène Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias
Au plateau Noëmie Bouissou, Camille Decourtye, Claire Lamothe, Blaï Mateu Trias, Oriol Pla, Julian Sicard, Marti Soler, Guillermo Weickert, un cheval et des pigeons
Collaboration à la mise en scène Maria Muñoz – Pep Ramis / Mal Pelo
Collaboration à la dramaturgie Barbara Métais-Chastanier
Scénographie Lluc Castells assisté de Mercè Lucchetti
Collaboration musical et création sonore Fred Bühl
Création lumières Adèle Grépinet
Création costumes Céline Sathal
Musique enregistrée Joel Bardolet
Régie lumière Nicolas Zurow
Régie plateau Cédric Bréjoux et Mathieu Miorin
Régie son Fred Bühl ou Rodolphe Moreira
Régie animaux Francis Tabouret
Direction technique Nina Pire
Direction déléguée / Diffusion Laurent Ballay
Administration de production Caroline Mazeaud
Chargée de communication Ariane Zaytzeff
Chargé de production Pierre Compayré

 

Production Baro d’evel

TNM La Criée
Du 28 févr. au 4 mars : mar, jeu, ven, sam 20h - mer 19h
10/37 €
http://www.theatre-lacriee.com/
30 quai de Rive Neuve
13007 Marseille
04 91 54 70 54

Article paru le mercredi 8 fvrier 2023 dans Ventilo n° 476

et Falaise de Baro d’Evel

Evel des sens

 

À la sortie de l’hiver, et dans une conjonction des astres fort bien lunée, les Théâtres, la Criée et le Pavillon Noir nous offrent sur leurs plateaux partagés deux spectacles de Baro d’Evel, cette compagnie un peu à part, entre cirque et poésie, ou plutôt entre vivants. De toute beauté.

    Difficile de classer les spectacles de Baro d’Evel. Si on devait faire court, on dirait que c’est un peu de cirque, un peu de danse, un peu de théâtre. De la peinture aussi, et beaucoup de poésie. On dirait qu’il y a beaucoup de noir — et beaucoup de blanc aussi —, qu’il y a des animaux, qu’il y a des acrobaties, qu’il y a du rire. Beaucoup de rire. Un rire qui ne se force pas mais qui advient, à force de glisser avec les interprètes dans leur tourbillon de possibles et de tentatives. Depuis vingt ans et leur sortie de l’école du CNAC, dans le Sud pyrénéen, Blaï Mateu Trias et Camille Decourtye forment un duo à la ville et surtout en campagne, qui emmène dans leurs roulottes toutes sortes de vivants. Des artistes bien sûr, mais aussi des enfants, des animaux. Ils aiment à rappeler que lui est fils de clown et elle, née dans une famille où les chevaux prennent soin des humains. Et cela transpire dans tout leur répertoire, aujourd’hui constitué d’une douzaine de spectacles. Des spectacles de toutes sortes, de tout format, conçus comme des cachettes d’un sens jamais dévoilé, sans autre intention que de vous emporter, pour regarder autrement ce qui déjà vous entoure au quotidien. Un pas qui emmène sur un autre, un regard qui donne l’occasion au partenaire d’essayer quelque chose sur l’autre, et vice-versa. La machine s’emballe et on se retrouve à glisser de monde en monde, dans leurs histoires sans paroles (ou presque), comme dans un film de Tati, dans un colorama façon Buster Keaton. Mais d’une minute à l’autre, un instant de grâce advient, et l’émotion se pose alors sur ce qui fait la vie, à la façon d’un Bela Tarr attentif et tendre. Dans les deux dernières pièces, et Falaise, c’est d’ailleurs le noir et blanc du cinéma qui caractérise la scénographie, projetant la lumière sur la profondeur de ces personnages incongrus, aux ailes de désir. Éthologue de formation, Camille a invité les animaux à prendre place. Dans Là, le magnifique duo de danseurs catalans Mal Pelo (María Muñoz et Pep Ramis, déjà plusieurs fois invités à Marseille) doit composer avec Gus, un corbeau-pie. Ça danse, ça joue, c’est de la musique qui s’invente à chaque pas. Dans Falaise, on retrouvera le cheval, mais aussi les oiseaux, des pigeons, cette fois. Si les images ainsi créées nous troublent de tant de beauté, au milieu de ce fatras d’actes poétiques, ne croyez pas qu’ici on cède à la tentation facile de mettre l’animal au service du propos des humains. Non, il est là, justement. Comme dans la vraie vie. Il n’est pas dressé, il n’est pas vraiment sauvage non plus. Il est invité à prendre part à ce qui va s’écrire sur le plateau, avec ces humains qui d’ailleurs n’ont rien de spécial à vous dire. Pas de message ici, pas de discours, mais des questions plutôt. De la poésie, de la simplicité, dans de drôles de cérémonies joyeuses, où le sérieux n’est pas de mise, mais où on ne se voilera pas la face. La grâce est décidément un instant rare dont il serait dommage de se priver. Prenez place !

Joanna Selvidès

   

Pour en (sa)voir plus : barodevel.com