Interroger le matériel, le bâti, le “touchable”, ce qui nous entoure de façon immédiate. Les imaginaires de chacun se conjuguent pour tramer une fiction collective et inventer de nouvelles manières d’habiter l’espace et de le partager.
« Notre "monde" a développé durablement son délitement. Comme la terre, il s’assèche ou se noie, se fragmente, s’il n’accueille pas la diversité et la complexité. Nous ne pouvons plus (sur)produire, comme avant, des spectacles. Nous ne pouvons plus faire comme si c’était encore possible. Laissons la terre se reposer. Et produisons plutôt du sens commun.
Interrogeons de nouvelles formes de collectivités qui pourraient, ça et là, éclore. Nous pourrions être, artistes, des facilitateurs, permaculteurs. Plutôt que des montreurs de sens et des montreurs d’égos. Nous pourrions mettre en relation ce qui est coupé, délié, clos, distancé, étouffé.
Ces derniers mois, au fil de confinements successifs aux contours multiformes, l’impensable est devenu possible. L’impensable, d’ailleurs, est advenu. Subitement relégués dans nos espaces privés, enclos dans des murs-cocons autant que murs-prisons, nous avons assisté sidérés à l’éclipse de l’espace public.
A travers les écrans, des images nous parvenaient de lointains dehors, nous montraient un monde vide, sans nous : décors sans spectateur, théâtre sans acteur. Les espaces publics proscrits, du moins réglementés, temps et distance contrôlés, n’étaient plus que corridors, espaces transitoires, parfaite ligne droite entre chez soi et tout commerce estampillé « de première nécessité ». L’espace public a été reporté à un hypothétique monde d’après. Les débats privés de leur lieu d’existence même, l’espace public, sont devenus sans objet.
(…)
La distanciation physique a été décrétée, mesurée précisément par des textes de loi (1 mètre, puis 2 mètres). Le glissement de ce mot « distanciation » dans sa connotation matérielle et dans le champ législatif, nous interpelle. D’abord parce que ce mot nous rappelle à Brecht, qui construit la distanciation comme principe théâtral actif pour une
indispensable prise de distance par rapport à la réalité. Ensuite, parce que la distanciation est une des caractéristiques fondamentales voire une des conditions de l’espace public. (…) Nous parions ainsi que l’altérité, de même que la critique, n’existent que dans la distanciation, une distance-proximité, un mouvement loin-proche, essence même de l’espace public pour peu qu’elles soit éprouvées non comme limite matérielle mais comme actualisation permanente, processus, aller-vers.
Arpenter, c’est à la fois mesurer une superficie terrestre et la parcourir à grand pas. Ici encore, rapt sémantique, combien de mesures ont été prises – pour nous mais sans nous – depuis ces derniers mois ?
Notre propos est ainsi avant tout poétique : réouvrir des champs sémantiques, créer des chemins. C’est le chemin, le cheminement commun, qui fera acte de création. A rebours du processus habituel basé sur une finalité ou une restitution finale, ce projet est un work in progress où la création n’est jamais finalisée. Elle s’enrichit au fur et à mesure des interventions, s’écrit en permanence, se densifie avec le temps. Elle s’ancre dans les regards, les perceptions, les relations. »
Olivier Puech