Iraka

Portrait | Iraka

Slam de fond

 

En 2011 déjà, nous prédisions un bel avenir au rappeur marseillais Iraka. Après pas mal de temps forts, de scènes (comme cette première partie d’IAM), un maxi puis un album signé par Sidney Bechet Productions, puis un autre maxi et une sélection au Printemps de Bourges, Philippe assume son statut de Slameur dans un opus plus chanté, toujours incisif.

 

 
« Ce titre, Le Slameur, évoque le labeur du slam. Plus qu’un genre musical, il affirme un rôle social. Plus qu’un individu qui slame un texte, le slameur incarne les gens qui l’entourent. »
Le temps a passé pour Philippe, depuis ses débuts à Bordeaux à la fin des années 90, à rapper seul dans sa chambre et peaufiner ses beats la tête penchée sur une MPC, tirant des salves sur des compils et des mixtapes. Le temps a passé et le filon s’est affiné. « Les premiers morceaux, c’est la chance du débutant. Le paradoxe, c’est que je cherche toujours aujourd’hui à approcher cet état d’esprit, simple, brut et direct des débuts, mais sans le refaire pour autant, en ayant intégré de nouvelles choses : un parcours, un langage mieux maitrisé. Il y a toujours un temps où la maîtrise tue la spontanéité, mais cela ne dure pas, ensuite la maîtrise redonne une place encore plus large à la spontanéité. » Dès 2009, Philippe s’entoure d’amis musiciens pour proposer sur scène et sur disque une première formule plus instrumentale mais toujours empreinte de minimalisme — les parties rythmiques étant par exemple jouées à la bouche par un human beatbox. Après une refonte du groupe, on le retrouve désormais dans une formation guitare-basse-batterie plus « classique », mais non sans ambition et parti pris. « Ce qui est le plus important, c’est la musique, pas les instruments qui la jouent. Gangstarr produisait des morceaux énormes, non pas parce que le son était nouveau ou qu’on entendait le grain de la machine, mais parce que la musique était bien faite, composée. Le son, ça n’existe pas ou si peu, finalement. » Dans une forme d’intensité maîtrisée, Iraka dessine les contours de la société contemporaine, narrant aussi bien son quotidien que ses grandes heures, ses moments d’errances et ses éclats de lumière, sa violence dissimulée, sa sensualité paradoxale et son insaisissable étrangeté. Sans hiérarchie. Avec ce qu’il faut de mélancolie. Comme « un combat permanent entre la lourdeur et les flonflons, entre le brûlot social et la chanson d’amour. » Paradoxalement, vous ne trouverez pas dans ses mots de références directes à l’actualité ou à des faits historiques clairement identifiables. Pourtant, lorsque l’on replace ses chansons dans nos propres vies, elles prennent tout leur sens. Comme s’il traçait les contours et qu’il nous fallait en dessiner le centre, ou bien l’inverse. En somme : la partie qui permettrait la compréhension de l’ensemble, une sorte de pierre de Rosette. Mais ce n’est pas si évident. « Peut-être que c’est un moyen de préserver ma musique d’un vieillissement prématuré. Je préfère l’inscrire dans l’avenir. Mais je parle quand même de l’actualité d’une société, d’une humanité. Aujourd’hui, l’information est publiée et relayée dans la seconde même. Et l’on nous fait croire que l’acte de publication n’a pas d’importance. Je pense que c’est une erreur : une publication sur Internet existera dans cinquante ou cent ans… Il est important d’en prendre conscience. » Un regard par-dessus l’épaule, Iraka vous dévoile ici même son futur.

Jordan Saïsset

 

L’album Le Slameur (True Flav) est disponible dans les bacs dès le 20/04.

Rens. www.iraka.bandcamp.com