Une femme dense

Une femme dense

A quelques jours de la douzième édition du Festival de Marseille, Ventilo est allé à la rencontre de sa directrice artistique, Apolline Quintrand. Retour sur le riche parcours d’une femme qui a fait de la pluralité et de la radicalité ses maîtres mots…

A quelques jours de la douzième édition du Festival de Marseille, sa directrice artistique, Apolline Quintrand, attend l’heureux événement avec sérénité. Retour sur le riche parcours d’une femme qui a fait de la pluralité et de la radicalité ses maîtres mots.

Arrivée à Marseille en 1970, Apolline Quintrand n’envisage plus de regarder la mer à partir d’un autre point de vue… Cette belle femme de cinquante-sept ans entretient un amour passionnel avec sa ville : « J’aime autant cette ville que ce qu’elle m’irrite parfois. Même si depuis cinq ans, elle vit une accélération, et notamment dans son urbanisme, pour raccorder le vingt-et-unième siècle, j’observe depuis trente ans un décalage permanent entre son potentiel et le réalisé. J’y trouve beaucoup de générosité et en même temps, trop de dureté, voire une certaine implacabilité. C’est peut-être ce qui a permis à cette ville, historiquement, de résister à toutes les influences et tentatives d’O.P.A. Elle a une capacité à décourager, à punir, à éliminer naturellement ceux qui n’ont pas, face à elle, la même force de résistance et de rébellion, ceux qui n’acceptent pas de vivre des moments merveilleux de paix et d’autres, de chaos qui peuvent rendre fous. Une relation d’amour qui construit et détruit, qui rend vivant ! » Passionnée de littérature, de philosophie et d’art, Apolline Quintrand est devenue journaliste puis scripte d’édition pour des journaux télévisés. Sa rigueur d’esprit alliée à une grande liberté intellectuelle lui donnent le goût du détail, de la recherche permanente du sens, de la découverte : « J’aime rêver. Ce n’est jamais un égarement d’aller sur des chemins de traverse. Il faut explorer… » Aussi, quand on lui propose de créer le Festival de Marseille en 1995, elle reçoit cela comme un cadeau, « comme un deuxième enfant qui arrive tard et qu’on accueille avec une plus grande attention. » Elle est alors lucide sur le défi que représente pour elle, à quarante-cinq ans, le démarrage dans un nouveau domaine professionnel et la construction d’un projet culturel ambitieux dans cette ville. C’est aussi ce qui la fascine et la pousse à accepter l’aventure… « avec humilité… Une subvention ne suffit pas à rendre viable un projet ; il dépend de l’énergie engagée, de la solidité professionnelle et d’un supplément d’âme. » Elle choisit la danse contemporaine comme axe principal de sa programmation, pour rompre avec la tradition du ballet national, et parce qu’elle lui semble être la discipline artistique la plus à même d’être traversée et irriguée par les autres champs de la création. Sur un territoire de mixité sociale comme Marseille, elle ne conçoit sa programmation que plurielle. Douze ans plus tard, et s’appuyant sur les outils d’évaluation mis en place par l’équipe du festival, Apolline Quintrand apprécie l’étape de maturité à laquelle sa structure culturelle est parvenue, à travers la richesse des liens tissés au niveau local et international, l’efficacité de ses moyens de production et l’étendue croissante des propositions artistiques. « La maturité permet de regarder l’avenir d’une manière positive et de mettre davantage d’énergie dans la créativité. Elle ne doit pas nous endormir ; nous devons rester conscients de notre fragilité et toujours chercher des équilibres entre le maintien des partenariats et l’innovation. » Citant dans son éditorial le scientifique et philosophe Georg Christoph Lichtenberg, qui prie pour « inventer quelque chose qui fasse boum », Apolline Quintrand affirme aimer la radicalité dans le processus de création, qu’elle compare au phénomène du big-bang, et fait beaucoup de chemin pour trouver des artistes qui opèrent des fractures, des chocs. Cette année, ceux-ci invitent le public à de nouvelles expérimentations, jouant à corps perdus entre mémoire et imaginaire : pièce subaquatique de Daniel Larrieu, nouvelles technologies associées au hip-hop avec Franck II Louise ou interactives en 3D avec N+N Corsino, ambiance post-punk de la Michael Clark Company, etc. « Je crois participer d’une manière militante à la vie et à l’évolution de l’image de la ville de Marseille, dans ce qu’elle a à dire sur le plan national et international autant qu’envers ses concitoyens. Avoir de l’ambition, de l’exigence pour sa ville, rêver pour elle, c’est l’aimer et la respecter. N’est-ce pas cela, défendre l’identité marseillaise ?… »

Texte : Géraldine Pourrat
Photo : DR

Festival de Marseille, jusqu’au 13/07. Rens. 04 91 99 02 50 / www.festivaldemarseille.com