Edito n° 196

Edito n° 196

« Nous sommes plus, plus à droite que vous ! » Imaginez tous ces Français, manifestants de droite virtuels scandant leurs slogans à l’oreille de leurs compatriotes et de leurs proches européens et américains…

Traf(r)ic d’influence

« Nous sommes plus, plus à droite que vous ! » Imaginez tous ces Français, manifestants de droite virtuels scandant leurs slogans à l’oreille de leurs compatriotes et de leurs proches européens et américains. Ceux-là se réjouiront de voir qu’enfin ce pays arrogant, prétendument inventeur des droits de l’Homme vient de se ranger du bon côté, celui des plus forts et de leurs idées. La France a désormais cinq ans devant elle, sans élection nationale qui pourrait renverser le cours des choses, pour se « moderniser ». Avec à sa tête, un Président décomplexé, épaulé par un Sénat éternellement de droite (à cause de la surreprésentation des campagnes viscéralement conservatrices dans la composition de cette chambre du Parlement) et une Assemblée nationale submergée par l’ex-Union pour la majorité présidentielle qui portait si bien son nom. Ecrasés, les éléphants n’auront jamais aussi mal porté le leur, sentant la balance démocratique pencher dangereusement dans l’autre sens et le plateau se dérober sous leurs pattes. Sans chef de troupeau, sans programme à gauche, sans nouvelles épaules pour le porter, la vieille légende leur promet le cimetière. Combien survivront, combien en face d’eux, combien avec eux ? Décompte dimanche.
Quels qu’ils soient, nous aurons, en tout, 577 députés, payés cinq fois le SMIC (5 177,66 euros nets par mois[1]) et leur chômage assuré pendant cinq ans après leur mandat. Pour quoi faire ? Ils permettent d’abord d’organiser le financement public des partis politiques. Si ces simples associations déclarées en Préfecture, présentent des candidats qui recueillent au moins 1 % des votes dans 50 circonscriptions, elles toucheront 1,63 euro par an et par voix obtenue. Voilà une explication à la présence de tous ces bulletins farfelus, genre « Yin, yang, nature et traditions », qu’on a la flemme de prendre avant d’entrer dans l’isoloir. Une autre, à la tempête du désert qu’ont déclenché les déçus du Bayrouisme. Une voix en moins pour lui, c’est 8,15 euros de moins pour financer sa campagne présidentielle de 2012… Et puis ? Ils votent et proposent les lois. Même si la grande majorité de leurs débats ne fait que traduire en droit français des directives européennes. Même s’ils ne font qu’entériner les projets de loi du Président et du gouvernement et ne proposent pratiquement rien, si ce n’est un ou deux amendements soufflés par quelque lobby[2] . Et encore? Ils votent et contrôlent les comptes publics. Parmi des dépenses militaires s’élevant à 1200 milliards de dollars en 2006 dans le monde, ils ont accordé, par exemple, plus de 53 milliards au budget français de l’armement[3] !
Les épreuves des présidentielles et des législatives passées, ceux des citoyens qui le peuvent vont souffler et partir à la plage. Ici dans les calanques, là dans un festival à Benicassim ou ailleurs. Et pendant leurs vacances au Maroc ou en Croatie, en France ça va bosser. Effet Sarkozy ? Oui et non. Les salariés ont l’habitude de besogner sous les chaleurs estivales. Mais ceux qui feront des heures sup, ce sont les troupes de Nicolas. Pendant les congés, les promesses de campagne vont être hâtivement votées dans une session extraordinaire des petits nouveaux de l’Assemblée nationale. « TVA sociale, bouclier fiscal, franchise sur le remboursement des soins de santé ». C’est à se demander si les académiciens potes du patron, Max Gallo en tête, ne font pas des piges pour nous sortir des formules de style pareilles ! Car sous la couverture sémantique, les chantres de la TVA sociale perdent leur sang-froid. Ils entendent supprimer les contributions salariales et patronales au financement de la sécurité sociale et des allocations familiales, l’Impôt de solidarité sur la fortune et les droits de succession, et combler ce manque à gagner de l’Etat par une augmentation insupportable de cette taxe sur la consommation. Le tricard et le rentier mettant autant la main à la poche, même si elle est vide. Alors tous à nos pancartes pour soutenir la révolution de mai 2007 : « Consommons, consommons, c’est bon pour la Nation ! »

Texte : Pascal Luongo
Photo : Damien Boeuf

Notes

[1] Pour en savoir plus sur le financement public des partis politiques, tapez : http://www.marianne2007.info/Legislatives-et-financement-des-partis-la-ruee-vers-l-or_a1388.html

[2] L’amendement « Vivendi », par exemple, a incriminé pénalement, dans la loi relative aux droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information, la mise à disposition de logiciels peer to peer sous la pression de la multinationale.

[3] Voir le rapport annuel de l’Institut international de recherche pour la paix de Stockholm (Sipri) qui nous apprend, entre autres, que ces dépenses militaires mondiales ont progressé de 37 % en dix ans.