Ceci n'est pas une galerie

Ceci n'est pas une galerie

Le lieu d’exposition de la rue Jean de Bernardy, semble paradoxalement se situer dans un territoire indéterminé qui serait peut-être celui de l’art contemporain. Aménageant les possibles…

Le lieu d’exposition de la rue Jean de Bernardy, semble paradoxalement se situer dans un territoire indéterminé qui serait peut-être celui de l’art contemporain. Aménageant les possibles, Où est un territoire où se déterminent simultanément les espaces de création et des temps de regards. Mais la quête d’une quatrième dimension, d’un espace-temps nouveau n’a rien de fictionnel. Ancré dans les réalités économiques et laborieuses de la création et de l’exposition, le lieu travaille à exploiter les contraintes. Renversant alors l’énoncé, Où interpelle : jusqu’où ces réalités peuvent-elles mener ?

Lieu où les expositions se succèdent à un rythme effréné depuis l’an 2000, Où accroche et décroche des expositions individuelles ou collectives présentées pendant quatre semaines. Entre deux expositions ne s’écoule généralement pas plus d’un week-end. Mais ceci n’est pas non plus une machine : ce qui motive ce rythme relève davantage de la volonté de refléter le bouillonnement créateur des artistes, la dimension active de leur travail en tant que réalité trop souvent oubliée. Où est avant tout LE lieu où l’on produit pour expérimenter, pour engager une quête artistique parfois inattendue.
La dernière exposition présentée jusqu’au 16 juin provoque avant tout la rencontre entre deux productions formellement différentes. Sans titre, sans thématique qui orienterait la lecture du spectateur et surtout sans opposition, ce choix tient du démantèlement des systématismes généralement exploités par les commissaires d’exposition. Ici, les travaux artistiques sont présentés pour ce qu’ils sont et pour un potentiel qu’ils ne soupçonnent pas eux-mêmes. Subtilement poussées à dépasser leur démarche respectives, Emmanuelle Germain et Claude Hortsmann présentent ainsi des œuvres dévoilées dans leur simplicité et valorisées dans une force singulière. La première, artiste vivant à Marseille, opère photographiquement et portraitise des figures féminines sous l’emprise délicate de l’hypnose. Donnée invisible sur la photographie, l’hypnose tient du processus créatif plutôt que du résultat formel : le meilleur moyen considéré pour démanteler les automatismes du sujet face à sa « petite mort » provoquée par le déclenchement photographique. Jouant d’une intimité exposée et non exhibée, l’artiste fait de ce paradoxe une « extimité » à la fois subjective et universelle.
La seconde a opéré directement sur les lieux, en agençant des traces noires d’oxyde de fer. Un matériau brut et organique, dont l’application relève de la création d’une cartographie mentale plutôt que symbolique.
Ainsi, la première production est charnelle, alors que la seconde est plus cérébrale. Il y a donc peu de points communs. Certes, il s’agit de deux femmes. Mais ce caractère ne les rapproche pas plus qu’un autre. Pourtant, la cohérence et l’unité nous touchent ici au plus profond et de manière si naturelle que la formulation même de leur explication est difficile. Et c’est sans doute là que se situe l’abolition même des automatismes thématiques ou visuels du commun des expositions. A l’image de la confrontation de ces deux artistes, l’accrochage est envisagé contre la facilité et le conventionnalisme, tout en rendant naturellement sensible le travail même de celle qui l’a pensé.

Leslie Compan

Où, Lieu d’exposition pour l’art actuel (58, rue Jean de Bernardy, 1er). Rens. 06 98 89 03 26
Emmanuelle Germain & Claude Horstmann, jusqu’au 16/06.
Prochaine exposition : Alina Abramov, du 2 au 13/07. Inauguration le 2 en présence de l’artiste dans le cadre du Festival International du Documentaire.